Santa Fe, dixième jour.
J'ai réfléchi à une chose cette nuit. Tu sais, au tout début, la Terre était une boule de lave en fusion. Une énorme boule orange crépitant de magma. Le feu était partout sous l'écorce terrestre mais on ne le trouvait nulle part. Il couvait mais il ne pouvait pas sortir. Imagine ça : des flammes ardentes et empêchées qui crépitent comme des folles et se heurtent à la croûte terrestre. Pourquoi ? Parce qu'il y manque quelque chose. Des millions (des milliers ? je ne sais plus compter à partir d'un moment) d'années plus tard, la terre s'est refroidie. La boule orange est devenue bleue. Les mers ont tout recouvert et, de là, tout au fond, a surgi la vie. La Terre s'est peuplée de végétation, et l'oxygène est apparu. C'était ça l'étincelle qui manquait : l'air. Voilà quoi j'ai réfléchi cette nuit : de l'eau a surgi le feu. Mais aucun des deux ne se serait rencontré sans l'oxygène.
Je sais ce que tu penses, est-ce que je n'ai vraiment que ça à faire la nuit, et je te réponds : mieux vaut ça que d'étrangler les petites filles de six ans, (c'est pas de moi, malheureusement, c'est de Brautigan). Donc, cette nuit, j'étais là dans mon lit à regarder cette réaction chimique se déployer sur les murs de ma chambre : l'air qui allume l'étincelle, et le feu qui éclate enfin, pour la première fois. Et je pense que j'attends l'étincelle, moi aussi, qui brûle en-dedans et me consume. Je manque d'air. Et bizarrement, je suis venue le chercher ici, dans le désert.
A quoi penses-tu toi, la nuit ? (je sais déjà ce que tu vas me répondre : la nuit, tu dors, ou bien tu fais l'amour). Moi, la nuit, je pense à ces choses parce que j'ai peur que l'encre de la nuit m'avale toute entière et que je crains de devenir une écorce, comme celle des arbres tordus autour de moi, craquelée et nostalgique. Mais quand je me réveille, je vois le soleil tirer un trait doré sur le ciel violet et l'air me revient. Ici, aucune couleur n'est pareille à celles que j'ai quittées. Pour l'instant, je ne fais pas grand- chose d'autre que de me tenir dans le rose, le pourpre, le jaune et le vert fabuleux du Nouveau-Mexique, et d'accepter ma solitude. Je sais ce que tu vas dire, je suis un peu la Georgia O'Keefe du vingt-et-unième siècle, sauf que je ne peins pas, et que je me remets d'un chagrin d'amour.
Donne-moi de tes nouvelles,
C.
Lettre à
Birds on a wire
Constance Joly - Lisa Balavoine
Un été jaune carré
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