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Coline Piérré - On ne range pas le passé


Quand Sabine m’a proposé d’écrire un texte pour son blog, j’ai accepté sans avoir aucune idée de ce que j’allais bien pouvoir raconter. Avoir le champ libre, c’est un peu vertigineux, on croit qu’on ne trouvera jamais d’idée (en fait, on finit toujours par trouver). Et puis mon cerveau limité de jeune maman en manque de sommeil depuis un an a fait cette bête association : puisque j’écris pour un blog, pourquoi je n’écrirais pas sur les blogs ?

J’ai ouvert mon premier blog début 2003 sur une plateforme (toujours en ligne, mais probablement plus très utilisée) après avoir traîné sur les forums d’un site pour ados. Nous étions quelques-uns à avoir formé, à la fin des années 1990, une petite communauté virtuelle d’ados autour de notre goût commun pour la musique. C’était le début de l’internet grand public et il a sans doute sauvé toute une génération d’ados timides, introvertis, et mal dans leur peau. Je trouvais ici tout ce qui me manquait au lycée, j’y ai rencontré des personnes qui ont été importantes pour moi, je m’y sentais bien plus vivante, bien plus à ma place que dans la vie réelle. C’était d’ailleurs tout à fait réel : j’ai rencontré plusieurs de ces personnes, on est partis en vacances, on a arpenté des villes, correspondu, écrit des chansons, assisté à des concerts, mangé des galettes au sarrasin. Et même si aujourd’hui, on s’est presque tous perdus de vue, on a été importants les uns pour les autres à un moment. C’est ce qui compte. En grandissant, nous avions migré vers MSN puis les blogs. C’était nouveau. J’avais suivi la tendance et ouvert le mien. J’avais presque 16 ans. J’y racontais quotidiennement ma vie et mes états d’âme de lycéenne, j’y postais des photos floues pseudo-artistiques, des chansons que je composais, des textes que j’aimais. J’écrivais beaucoup, j’étais bien plus prolifique que maintenant, mais je ne terminais presque rien.


Entre ce premier blog et celui que je tiens aujourd’hui épisodiquement sur mon site, j’ai ouvert au moins huit autres blogs (mais j’en oublie probablement) sur différentes plateformes. Certains étaient collectifs, comme des exercices de style littéraires, certains fictionnels, certains très personnels, certains thématiques, analytiques, la plupart sous pseudo. J’ai aussi tenu à jour jusqu’à mes vingt ans un site sur lequel je mettais en ligne des poèmes, des textes, des photos floues, des photos de mes pieds, du ciel, de ma guitare, des photos d’ombres et de lumières souvent modifiées à grand renfort de filtres Photoshop. Et surtout, j’y mettais les chansons que j’écrivais et que j’enregistrais en cachette sur l’ordinateur familial le dimanche après-midi, lorsque mes parents partaient en balade. J’utilisais le micro de l’ordinateur, le son était terrible, ça craquait, il y avait du bruit, du souffle, ma guitare sonnait comme une casserole, je ne chantais pas très bien, je parlais de choses déprimantes, mais j’étais heureuse. Là, dans cet interstice, j’étais moi.

Certains de mes blogs ont duré plusieurs années, d’autres n’ont qu’un ou deux articles à leur actif, ce sont des projets avortés par manque de temps, parce que je les ai oubliés, parce qu’ils ne correspondaient plus à mon état d’esprit, parce que j’ai grandi (un peu) et pas eux. J’ai toujours eu cette tendance à m’éparpiller, à commencer mille choses et à ne rien finir. Entre 13 et 25 ans, j’ai écrit des tas de chansons vaguement mises en musique, des nouvelles, plusieurs débuts de romans, un récit presque terminé. Aujourd’hui encore, je suis éparpillée. Sur mon ordinateur, j’ai des chansons en chantier, des bouts de dessins, des dizaines de débuts d’histoires et au moins trois sortes de journaux différents, qui vont de quelques lignes à plusieurs chapitres, et qui n’existeront peut-être jamais ailleurs que dans mon ordinateur et dans ma tête.


Il y a quelques années, j’ai décidé de ranger mon esprit.


J’ai commencé par tenir plusieurs carnets de notes : un pour les idées, un pour le dessin, un pour chaque livre en cours. J’ai tenu quelques semaines et puis c’est redevenu le désordre. Non seulement c’est contraignant de trimbaler quatre carnets dans son sac, mais c’était surtout très frustrant. Comme s’il y avait une hiérarchie des idées, comme si les « idées débiles » ou les « notes sur le livre en cours » n’étaient pas assez bien pour côtoyer les « bonnes idées d’histoires ». Et puis que faire des idées et des notes qui sont à la frontière de tout ça ? Alors j’ai remisé mes carnets thématiques et mon goût bizarre pour le tri et j’ai gardé un seul carnet, bordélique, gondolé (il a pris l’eau), raturé, déchiré. Je prends des notes partout : dans mon carnet, sur mon ipad, dans des fichiers sur mon ordinateur, dans le corps même des romans, sur des feuilles qui traînent là, parfois même sur ma main. J’ai des tas de dossiers et des fichiers de notes intitulés « boîte à idées », « histoires en cours », « idées d’histoires pour enfants », « notes pour tel roman », « notes rangées », « notes à trier ». Je crois que je commence à accepter mon désordre et mon éparpillement. Mon ordinateur, c’est la malle au trésor de mon imagination, où se côtoient des idées plus ou moins bonnes, plus ou moins incompréhensibles (parfois, ce sont juste deux mots et impossible de savoir ce que j’avais en tête).


Il paraît qu’il y a des écrivains qui collectent et organisent consciencieusement leurs archives, leurs journaux, leurs notes et leur correspondance en vue de la postérité. Non seulement je ne suis pas assez mégalomane (et puis je trouve l’idée d’envisager sa postérité – et donc sa mort – plutôt angoissante), mais surtout, je préfère laisser faire le hasard.


Mes archives sont partout, éparpillées entre les carnets, les fichiers numériques et les limbes d’internet. La plupart de mes blogs sont encore accessibles, j’en ai récupéré certains sur mon ordinateur, mais ce n’est pas le cas de tous. Il est possible que je les perde, qu’ils disparaissent un jour parce que le site aura fermé (je découvre d’ailleurs à l’instant que l’un d’entre eux, non sauvegardé, n’existe plus.) Tant pis. Je commence à être habituée à abandonner des choses, à quitter des lieux, des villes et de gens, laisser derrière moi des souvenirs, n’en garder de tangible que la trace – quelle qu’elle soit – qu’ils ont laissée en moi.


Mon ordinateur est plein de ces textes et de ces enregistrements un peu ridicules, que je n’assume pas tout à fait, mais chargés d’émotions et de petits fragments de moi. Les jours de mélancolie, il m’arrive de replonger mon nez dans ces souvenirs et ces blogs. Ils flottent chacun dans une atmosphère différente. Les relire, c’est un plongeon en arrière vers l’adolescence et le début de l’âge adulte (autant dire : un plongeon souvent assez désagréable), c’est remettre à nu des émotions dont je découvre qu’elles sont encore à fleur de peau, intactes et éternelles. C’est retrouver, fébrile, l’état exact dans lequel j’ai écrit ces textes.


On ne sort jamais de l’adolescence, on ne fait que la recouvrir d’une fine couche de peau, un peu plus épaisse, un peu moins fragile, mais tout juste cicatrisée. C’est peut-être pour ça que j’ai autant de plaisir à écrire pour les ados, parce que c’est à moi que j’écris, parce que je suis et je serai toujours la même adolescente. On ne range pas le passé dans un tiroir, on ne le trie pas, on garde tout en soi, simplement enfoui sous quelques couches d'un présent flambant neuf.


En bonus, une des dernières chansons que j’ai enregistrées à cette période (2006, mon matériel s’était alors amélioré) avec mon complice musical de l’époque, Olivier (qui m’enregistrait patiemment et jouait les parties de guitare accompagnement).




(2006, mon matériel s’était alors amélioré) avec mon complice musical de l’époque, Olivier (qui m’enregistrait patiemment et jouait les parties de guitare accompagnement). 

J'ai découvert Coline Piérré par l'intermédiaire des réseaux sociaux et divers romans, textes, petits livrets.... Son texte est comme un reflet de cette communication dite moderne qui s'est mise en marche depuis quelques années. Les blogs ont surgi, les mains, les mots, les notes, les photos se sont révélés, le monde s'est réveillé. On a cru, peut-être à tord qui sait, être maitre de notre système. Et puis nous nous sommes rappelés que le monde ne tient pas au creux de nos mains, que la vérité n'est que celle que nous croyons construire.



On ne range pas le passé

Coline Piérré

Un été jaune carré

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