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Photo du rédacteurSabine

Colette Mazabrard - Monologues de la boue



« Devenir boue, s’enfoncer par les ongles, fouir, fouine, ronflement des fossés, pleurs des marcassins, de hérissons. Les bêtes ne parlent pas. Tu marches dans le sable des dunes, étonnée devant le foisonnement végétal qui parvient à y pousser, le vent déplace le chemin, les nuages sont lourds, le drapeau rouge, un vent violent te bouscule, te déséquilibre, tu assures davantage encore chaque pas que tu poses sur le sol où tu avances. »

Des « monologues de la boue » comme une traversée en soi. Une traversée où les labours sont gras, noirs, sales. Un vagabondage au-delà des vents qui courbent les corps, les têtes, où les obstacles sont collines, champs dévastés, granges où la paille permettant le repos du corps, n’est que lit insalubre. Trouver sa petite théorie de l’éternelle réversibilité, celle qui du noir passe au blanc, celle qui de l'ombre apporte la lumière, le froissement d’air nécessaire à la vie.


Devenir boue et marcher dans le sable des dunes, tracer la route jamais droite. S’enfoncer dans les nuages lourds poussés par des vents violents et déséquilibrants. Marcher toujours. Marcher encore. Oser braver le sol où l’on avance.


« Heure entre chien et loup, heure du départ. Tout ce qui manque. Tout ce qui manque : se blottir, être prise dans les bras, sentir une main qui passe à la racine de ses cheveux. Tout ce qu'une main peut donner. [...] Qu'est-ce-qui justifie sa vie, qu'est-ce qui lui donne une forme plus sensée qu'une autre, qu'est-ce qui fait qu'on ne la gaspille pas ? Qu'as tu donné ? »


A pas d’escargots, porter sa maison sur soi, dans ce sac à dos aux courroies qui scient les épaules. Emprunter des trains qui traversent les campagnes lugubres, ouvrir les portes des troquets, des estaminets d’un Nord où les nuits tombent brutalement.


Marcher toujours dans le sens inverse de la vie, de l’éveil. Marcher de l’Ouest vers l’Est, relié le Nord au Sud. Gravir les Vosges, sentir les crevasses ardennaises, longer la Saône sauvage et indomptée, dompter El Camino. Courir non pas après son ombre, ni contre soi mais courir après quoi… Rien. Non ne pas courir. Ne plus courir.


Regarder, sentir, ressentir la pluie se mêler aux larmes, entendre le vent chanter dans les branches le chant du désir. S’arrêter et lire sur les monuments aux morts des villes traversées, la présence de ceux qui sont tombés, comme un hommage à la vie qui s’ouvre devant soi.

Ne pas se poser dans cette ferme, cet hôtel aux papiers jaunis. Continuer. Aller au bout de soi. Comme une promesse, comme un pèlerinage qui nous guide au plus profond de notre âme, comme un besoin de croyance en soi, d’une confiance qu’on se réattribue, redécouvre. Marcher toujours, dans ce long monologue. Rassembler les souvenirs, les imager.


« Pas le but, mais le chemin. […] La force du chemin vient des herbes qui s’immiscent entre les cailloux. Il faudrait photographier les visages du chemin. Tu te souviens que Thoreau vante la force de l’humus, l’énergie du fumier dont le champ tire sa secrète vigueur. Verticalité du chemin. »


Et puis comme au milieu de l’hiver, trouver un invincible été,  la légèreté de franchir les derniers kilomètres qui mènent à la plage. Bruler les chaussures, dénatter les cheveux, poser le sac et oser mettre les pieds dans un océan aux vagues déchainées. Trouver la lumière qui éclabousse les feuilles, le chaos scintillant. Effeuiller la momie qui était en nous, lui donner chair, sang, vie.

Ne plus trembler, écrire, regarder, sourire, ouvrir. Aller vers ceux, vers eux, vers vous, vers nous. Au-delà. Avancer la tête haute, le cœur léger par des rencontres qui ont fait ce voyage, ces monologues de la boue. 


« Choisir la justesse, choisir même en pleine conscience de l'échec, conscience qui ne sauvera rien, choisir de ne pas collaborer à la violence, de ne pas céder à l'explosion égoïste. Travailler, oui, mais travailler à affirmer la beauté, la lumière, en dépit de, malgré. Travailler, oui, mais travailler à ce que nous estimons beau et juste, en dépit de la naïveté, en dépit de l'enfance, en dépit du regard des autres ou de l’autre en nous. Ne pas écraser les fourmis. Fourmi, hormiga.»


Ne plus imaginer la liberté, la vivre pleinement, jouir de chaque moment.


« Il faudrait demander aux pèlerins de prendre garde à ne pas les écraser [les escargots] il faudrait aussi se taire et laisser venir d'autres images, d'autres lumières »


Monologues de la boue Colette Mazabrard Verdier

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