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Photo du rédacteurSabine

Clément Paurd - La traversée

Dernière mise à jour : 6 mars 2019




« Je commence à douter trouver quoique ce soit sur cette route. Plus nous avançons, plus nous semblons reculer. »

Ils marchent. Garde à vous, carabine modèle 1857/67 sur l’épaule, sabre à la main, ils marchent. Droit devant. Le capitaine et son soldat. Firmin, simple fantassin. Ils marchent. Infatigable. Par delà les monts et les montagnes, les vallées et les dunes. Ils marchent. Au loin, quelque part, la guerre gronde. Alors comme  tous bons fantassins, comme tous bons soldats, ils s’en vont grossir les rangs, débusquer l’ennemi, le déloger. Oust ! Dehors !

Et ce n’est pas ce pas en arrière ou arrêté qui fera dévier le chemin, la route. Ce n’est pas le caillou dans la botte de Firmin, les coups de gueule du capitaine, les cauchemars d’une guerre qui se joue, qui feront penser le contraire. Quand on est soldat, on marche au pas. On y va. On ne dévie pas. On suit la cadence.

 « un, deux, un deux… Plus d’égarement. La route est longue ». 

Même si les esprits des soldats abattus parsèment le sentier, la longue route qui ne semble finir, Firmin et le capitaine marchent. Inlassablement. La discipline bon-sang ! La discipline ! Qu’importe la peur et les frayeurs, soldats. Ils marchent !

« La peur appartient aux enfants et aux sauvages. Vous avez passé l’âge de l’épée de bois  et vous êtes bien pâle pour jouer aux Barbares ! Nous portons l’uniforme Firmin, pas la camisole ! »

« - Où est la guerre ? En allant de l’avant, nous n’allons pas reculer ! »




Alors ils marchent, traversent des ponts,  des mines sombres, l’enfer des champs où seules des âmes égarées trainent encore, des charniers. Un soldat n’a pas d’état d’âme. Il est au service d’un pays, le sien. Courage et obéissance, discipline. Ils marchent de l’aube au crépuscule. Qu’importe les froids et le manque de nourriture, les villages traversés, les spectres d’une armée invisible, les paysans et villageois croisés sur des chariots, les cendres encore fumantes des champs et maisons dévastés. 

 « - Je reste coi devant tant de sensiblerie. Dois-je rappeler où nous allons ? Ouvrez l’œil Firmin. Mais pas sur la pupille de l’ennemi. Déterminer si l’homme face à vous est bon ou mauvais ne vous sauvera pas la mise, mon bonhomme ! A la guerre la faucheuse fait son beurre des hésitants. TIRER ! Puis réfléchir. Parce que toujours debout pour le faire. C’est la seule leçon qui vaille mon garçon. Bien malin celui qui distingue le bourreau du curé. Dans l’amas des corps, tout homme meurt du même râle. - C’est raide. Tuer par peur d’être tuer. - C’est une raison valable. - A la guerre les hommes sont bêtes. Brebis galeuses ou moutons dociles. - Vous viendrez vous l’envie de philosopher ? […] Le monde porte son lot de furieux. La guerre ne fait que mieux les révéler.  -A la guerre le crime règne en roi. »




Stop ! On n’arrête tout !

On arrête tout et on se penche sur ce drôle de récit qui nous embarque dans l’absurdité de la guerre, dans la folie des hommes, dans la philosophie loufoque de deux hommes qui partent au front sans jamais le croiser, qui croient en des valeurs patriotiques et qui ne font que croiser la couardise, la détresse, le grondement des hommes, leur peur et leur veulerie, leur gourmandise devant le malheur et la détresse de ceux qui ne possèdent plus. On stoppe tout et on comprend que derrière ce trait quasi enfantin, cette longue errance philosophique et folle, se cache le plus beau des récits anti-militariste, l'absurdité de la guerre. Pas de dénigrement, juste la logique même d’une marche à travers un monde où l’homme se découvre, où la morale devient loin de celle qui nous parait angélique.

Clément Paurd a réalisé une bande dessinée non identifiée qui utilise notre imagination et à la fois nous plonge dans la réflexion en utilisant l’humour, l‘absurdité de la logique, la finesse de la caricature.

Loin de jouer sur le détail propre au champ de guerre et autres histoire de batailles enragées, l’auteur nous invente un récit d’aventures où l’aventure est justement le premier mot qui nous vient lorsque tout bon soldat part à la guerre. Une traversée d’un pays, de terres inconnues où l’homme devient sensible devant cette terre qui vrombit sous les canons, poétise devant les paysages découverts, se prend de sensiblerie à la marche forcée dans les charniers découverts sous les ciels. La loyauté chevillée au corps, ces deux personnages, telles des ombres chinoises, découvrent les atrocités, les conséquences et la folie de la guerre.

Les codes de la bande dessinée sont cassés. On avance au rythme du chemin, ne sachant plus comment lire le récit. Doit-on porter notre regard sur le dessin du dessous ou continuer sur la page d’à côté qui nous invite à explorer le champ visuel. On entre dans une forme de folie et de philosophie. On cherche le sens, les sens, cachés ou non, la menace qui gronde. On suit la ligne graphique qui jongle sur les couleurs et les formes minimaliste, la maitrise du récit.

Bref La Traversée est du grand, du très très grand récit graphique où  la poésie côtoie la philosophie, l’absurdité de la guerre, l’humour et la tendresse, la couardise et l’intelligence. Du grand, du très grand délice, inventif et Objet Dessiné Non Indentifié. Une très belle traversée où l’homme n’en sort pas toujours grandi mais pas toujours non plus, rétréci.

« Il y a des choses ici. De vilaines choses. »

Les bulles de la semaine sont à retrouver chez Stéphanie. Et découvrir le site de Clément Paurd qui a mis en histoire ce récit loufoque, déjanté mais tellement nécessaire.



La traversée Clément Paurd 2024




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