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Photo du rédacteurSabine

Christian Bobin - Pierre,

Dernière mise à jour : 22 déc. 2019


« La voix de Soulages est nue. Incroyablement donnée. Un amusement la traverse, un étonnement que Soulages a de vous et de lui. Cet étonnement est la clé de voûte de son âme et de sa peinture aussi bien : n'en jamais revenir d'être au monde et de voir, de se voir dans ce qui vous fait face. Ses peintures ont la luisance humide d'une peau retournée. Elles ne montrent rien. Elles disent. Ces stries noires sont des microsillons. La voix du peintre est prise dedans. Il parle, seul. Sur une surface plus ou moins grande. Seul. »

Lire Christian Bobin c’est entrer dans un univers où la poésie signe ses lettres d’une silencieuse noblesse. Il n’y a nul autre poète qui me procure cette présomption d’éprouver, de trouver une immense géographie de l’âme, un territoire dépourvue de toutes oriflammes ou guerres intempestives. Avec lui je déchiffre la beauté, entends le vrai, la simplicité, l’inné. Je jouis de la lumière, des jeux d’ombre et de clarté, entrevois la vie comme la mort, les ténèbres pour mieux être éblouie par la flamme, la lueur. Je lis Christian Bobin et fais face au silence, au minuscule de l’être, à ces détails qui me sautent aux yeux, à la vie qui passe et le temps qui me fait face.

Lire Christian Bobin, c’est écouter le bruit des mots, des phrases, lire entre les espaces, le souffle qui accompagne l’écriture, tomber amoureuse d’un univers qui se nomme poésie. Un univers qui n’est rien, ne dit rien, semble venir d’une sagesse innocente et qui d’un seul coup nous emporte, galope dans la beauté du monde. Et il n’est guère possible de résumer ses recueils, ses mots semés, ses touches teintées, cette façon unique dont il a de jouer avec la lumière, de façonner les noirs, les contrastes, les blancs saisissants construisant ses textes.

Il serait aisé de dire que « Pierre, » est un recueil dédié à Pierre Soulages, à son génie et sa peinture, son immense peinture, cette façon qu’il a de sublimer les noirs. « Pierre, » est bien plus que cela. Il est un amour dédié à un homme, à l’attachement qui relie deux êtres par le biais de leurs arts, des mots et de la matière, procure ce nécessaire besoin de se sentir happer, vivre, être. Savoir que c’est par le biais de la vision d’une toile composée de noirs que la vie se fait, l’air revient, crève l’écran, s’écrit sur la feuille, s’engouffre en soi comme une réalité embrase le corps et l’âme.


« J’écris ce livre pour me mettre à cet endroit précis. »

Il n’y a nulle intelligence à connaitre Soulages. Juste ressentir l’extrême proximité qui se lie, se joue, est, comment elle parvient à immobiliser le temps, entendre les voix des lumières peintes, écrites. Des voix comme des trésors murmurés, éblouissants de lueurs, écartant le bruit du monde, déposant par touches un espace que seule la beauté des mots parvient à nous faire ressentir. Pierre Soulages écrit, strie la vie par ses touches de noirs microsillonnés. Et de cela, Bobin en devient celui qui a su le regarder, voir au-delà de sa notoriété, comprendre que derrière la richesse collectionnée se cachait son secours, l’air, la nécessité, l’amour de la vie, « le sirop d’érable de sagesse », un outrenoir qui nous contemple.


« Donner plein sens à la vie, […] inventer un nid, [...] une maison parfaite car infiniment respirante. »

Il n’y a pire vanité que prétendre connaitre l’œuvre d’un peintre, en être son dépositaire, d’en faire un être sacré, écrire un éloge. Cela serait faire face à l’hypocrisie de nos silences qui nous submergent face aux toiles, à reconnaître l’emplacement exact, cette circulation d’air qui nous relie à ces peintures, ce noir, aux tremblements surgissant face à la force de l’espace donné, à ne pas entendre, attraper la lumière, faire de ces peintures, ses mots, son écriture, ce bouillonnement insatiable qui nous pousse à être présent à soi, à faire face à nos sentiments, émotions, l’intuition que ce qui se joue est là, devant nous, en nous. Cette noblesse que tout est fragile telle la vie qui passe et la mort qui avance.


Une toile, des noirs, une peinture, des mots, un voyage, un livre. La lumière. Cette impression d’être « devant quelqu’un. Et ce quelqu’un, c’est nous ».


« L’amour - ou l’amitié -, c’est s’approcher si près du cœur de l’autre qu’on en est à jamais irradié. Etrange d’aimer un peintre. […] Comment je t’écris : j’enfonce ma tête dans le papier, je creuse une galerie, quand je rencontre une racine ou un rocher, je fais demi-tour, je repars ailleurs, chercher l’issue à ce voyage, à cette nuit, à la vie entière. » Christian Bobin

« Sitôt qu'il compta dans ma vie, l'art cessa d'être un luxe, devint une ressource, une forme de secours. [...] A chacun sa pente : à chacun aussi son but, son ambition si l'on veut, son goût le plus secret et son plus clair idéal. Le mien était enfermé dans ce mot de beauté, si difficile à définir en dépit de toutes les évidences des sens et des yeux. Je me sentais responsable de la beauté du monde » Marguerite Yourcenar – Mémoires d’Hadrien


Pierre,

Christian Bobin

Gallimard



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1 Comment


petitsmotsbleus
Dec 15, 2019

Je n'ai pas encore lu Bobin...

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