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Photo du rédacteurSabine

Charlotte Milandri - Lettre à

Dernière mise à jour : 23 juil. 2021



Je ne sais pas comment commencer cette lettre, peut-on nommer autrement un amour qui a été ?


Je suis arrivée hier soir à la maison de la mer. A entendre Suzanne répéter ces mots, on en a oublié les lettres déliées que ma grand-mère avait choisies avec soin et que Jacques avait accroché. Quatre pitons pour que jamais ça ne tombe. Nommer, elle passait son temps à nommer, y compris ces quatre murs et ces volets bleus. La maison semblait triste, cinq mois que personne n’en avait poussé la porte. La serrure était un peu grippée, l’hiver a été rude, les vents ont brassé tant de sable, que des grains sont venus emplir chaque espace vide.


Barbara avait choisi La solitude pour fin du voyage. Je te vois lever les yeux au ciel, c'est un hasard. Il n'y a pas de hasard, tu sais bien.


Je suis entrée, et je me suis arrêtée sur le seuil. Ne pas trop vite réveiller les âmes endormies.


Je suis passée au salon, tu as laissé un gilet sur le fauteuil bleu, tu pensais revenir. Dans la pièce du fond, j'aperçois les cartons que nous avions commencé à faire. Comme si déjà nous savions qu'il fallait nous alléger. Je vais les mettre dans la voiture, les déposer au bric à brac du bout de la rue. Je monte, je suis toujours surprise par la lumière que le puit livre, on ne peut pas l'occulter celle-là. J'ouvre les fenêtres, les volets pas encore.


Demain, j’irai à Pont Aven, monté les escaliers de la pension Gloanec, il est des lieux dont on ne se lasse jamais. Je laisserai trainer ma main le long du mur, appuierai un peu plus fort sur la rampe, prendre l’âme de ceux passés ici. Le plancher qui craque, les livres posés sur la table, les étagères et les tableaux au sol. En saisir un, au hasard, garder quelque chose de cet endroit. Quelques pas, et j’entrerai dans ce musée pour me laisser cueillir par l’inattendu. Ça adviendra, comme une magie renouvelée. Ne pas attendre mais prendre ce qui est.


Je rentrerai tard, j'irai marcher un peu sur la plage qui retrouvera son calme après les châteaux, les pieds d'enfants et les serviettes qui l'écrasent.


J'ai posé les cartons dans l'entrée du hangar, salué l'homme qui se tenait là. Et au moment de démarrer la voiture, je suis sortie subitement, j'ai couru récupérer l'ours brun. Peut être reste t-il l'odeur de Suzanne sur son oreille, le rire de Jean coincé dans son cou et la trace de ton doigt sur son dos quand tu le faisais prendre vie.


Je vais rentrer, appeler Emma pour lui dire de me rejoindre. On ouvrira les fenêtres en grand, on décrochera les volets qu'on repeindra en vert ou qu'on laissera brut. On poncera à tout effacer. Revenir à la source. On ira manger une crêpe chez Agathe, elle demandera de tes nouvelles, je lui répondrai je crois que ça va, elle n'insistera pas. On courra sur la plage, on se jettera à l'eau, on entendra que nos cris mordus par la fraîcheur des vagues. On rentrera. On se servira de grands bols de tisane que l'on allongera d'un trait d'eau froide. On refera nos mondes. On dormira dans la chambre des enfants, elle au dessus moi en dessous.


Et tout ira.


Tout va.


Toujours.



Lettre à

Charlotte Milandri

un été jaune carré



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