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  • Photo du rédacteurSabine

Charlotte Milandri - Lettre à

Dernière mise à jour : 14 août 2020


Mon amour,


Te souviens-tu de cette photo prise un jour de printemps ? On se tenait encore la main dans la rue.


Ce décor avait surgi au coin d’une rue bondée de pas pressés. Nous nous étions figés. Tu m’avais murmuré, un sourire aux lèvres : tu as vu la nature reprend ses droits. Aurais-je du te dire que moi je ne voyais que le crépis qui s’écaillait, le mur qui cédait, que déjà j’imaginais le jour où tout s’écroulerait. Il resterait quelques fondations, pour se rappeler que cela a été. On referait du neuf, bien solide, bien propre, bien lisse. J’ai su alors que viendrait un jour où je n’utiliserai plus que le passé pour nous définir. On ne pourra pas blâmer les enfants que nous n’avons pas eus, les rêves que nous avons étouffés au petit matin, ni les autres qui sont passés dans nos vies sans s’y attarder, pourquoi d’ailleurs faudrait-il blâmer quelqu’un ?


Evidemment que tu te souviens de cette photo, pourquoi suis-je toujours à croire que je suis la seule à avoir la mélancolie pour compagne ? A t’entendre réparer cette porte du garage qui coince pendant que je t’écris, je ne cesse de m’interroger sur ces vies que l’on poursuit en parallèle, à quel moment la solitude s’arrête-t-elle vraiment ? Le salon est plein de la voix des autres, des chansons tristes sur les amours déçues, d’autres le disent tellement mieux que moi. Tu entreras tout à l’heure, tu les entendras, sans t’attarder sur les paroles en disant que tu en as marre de mes choix musicaux, non tu ne le diras pas, tu soupireras.


A partir de quand une absence devient-elle un remord et un souvenir un regret ?


Il paraît qu’on ne sait pas quand il s’agit de la dernière fois, et pourtant je sais que pour la dernière fois, j’écrirai Mon amour. J’ai toujours aimé accolé un possessif à ces mots trop forts pour être portés, que tout ne soit qu’à moi, même les êtres, même pour une seconde, se donner l’illusion que pour moi seule, l’autre existe.


Mon amour. Deux mots peuvent donc tout contenir. Ils se suffisent. Est-ce que cela compte ce qu’on y cache derrière ?


Ce que je ne sais pas, c’est si cette lettre te parviendra ou si je la laisserai au fond d’un carnet, si on passera encore devant ces arbres qui comme des lianes enserrent ce mur, que je te verrai pester contre les mille bricoles à faire dans la maison, t’entendre te parler quand un clou résiste.


Et si je continuerai à t’écrire, sur cet amour qui n’en finit pas. De s’éteindre. De dériver. De se mouvoir en autre chose. De ne pas se conformer à ce que les livres racontent.

Et peut-être alors, au lieu d’être ce mur qui s’effondre, nous serons ces feuilles qui se déployant parviennent au sommet et recouvrent tout. Tout.


Je t’embrasse,

Mon amour.



Lettre à

Charlotte Milandri





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