Elle n’attend personne, elle poursuit sa valse, tempétueuse ou calme, c’est elle qui dicte le pas. Elle est le refuge d’une année de privations, de matins sans envie et de journées travaillées sans relief. Elle est la récompense.
Elle est le terrain de jeu des enfants et le décor des plus grands souhaitant une couleur dorée quand le ciel commencera à s’assombrir.
Je la guette. Vertigineuse. A son contact, je deviens misanthrope, jalouse et exclusive. Elle m’attire comme une passion dangereuse, à laquelle rien ne résiste. Malgré les pieds rougis, j’avance sans sautiller oubliant les cris de ceux qui lui tournent le dos, ignorant son attraction et son pouvoir.
Connaissent-ils le vertige du large, la tentation de filer droit sans se retourner ? Quand seule elle occupe mon esprit, mon corps se laissant porter, n’existant plus que par les mouvements pour me maintenir légèrement au-dessus d’elle, ma bouche salée, la fraicheur sur ma poitrine.
Plus le froid est vif, plus celui qui a besoin de se consoler avance, il n’est plus question de courage, de résistance physique ou d’acclimatation, seuls demeurent le mental et la nécessité de se libérer. Rien ne peut venir contrarier celui qui sait qu’elle peut apaiser et absoudre. La mer est une foi, on peut y adjoindre des rites et des légendes, des possibles et des imaginaires. Les fantasmes y font leur lit. Si la foi n’a pour objet que de vivre mieux et d’accepter notre fin alors la mer est une putain de foi, à la seule différence qu’on peut la palper, la toucher, la sentir au creux des reins sans pourtant parvenir à la cerner, toujours nous resterons petit face à elle, à cette profondeur abyssale que jamais nous n’atteindrons. Comme un gouffre des possibles.
Elle berce autant qu’elle peut claquer les joues ; emporter les corps et prendre possession de tout. Elle est protectrice et toute puissante, comme l’est une mère. Les mots ne sont pas anodins, si les sons concordent, ils s’assemblent.
Je n’accepte d’être dominée que par elle, je veux qu’elle me possède, elle seule peut à la fois m’enchainer et de me rendre libre.
Elle est ce paradoxe.
Je la laisse m’emporter, me rappelant parfois sa force à emplir ma gorge. Elle est un monstre froid qui me happe et me prend à tout le reste, même à vous. A ce moment, je ne suis plus fille, épouse, mère, celle qui.
Je suis.
Comme un gouffre des possibles Charlotte Milandri Un été jaune carré
Charlotte écrit. Souvent sur ceux qui écrivent et ce sur quoi ils écrivent. Et comment et pourquoi. Mais pas seulement. Car beaucoup d’entre nous ont pu lire ses lettres à. Ses lettres à Adèle. Cette petite fille blonde dont nous comprenons à travers les mots de sa mère qu’elle a bien du tourment. Celui d’un humain mis au monde. Mais il y a aussi d’autres lettres. Encore à. Pas à Adèle. A Thibault. Celles-là, nous ne les lirons pas. Peut-être un jour. De ces lettres à Thibault que nous ne lirons pas, sauf peut-être un jour, nous devinons que le petit garçon sourit à la vie qu’il doit trouver bien joyeuse.
Cette fois, Charlotte écrit sur la mer. Celle dont nous avons été expulsés. Dont nous nous sommes peut-être nous-mêmes expulsés. Nous étions tous présents à ce moment-là mais aucun de nous n’est capable de se rappeler de ce qui a bien pu se passer.
La mère dans la mer. Evidemment. Revenir à ces lettres à Adèle. Elles sont puissantes. Elles font pleurer et parfois peur. Puisqu’elles sont d’amour fou. Tous les écrivains rêvent d’écrire l’histoire d’un amour fou. Certains y arrivent. D’autres n’essayent même pas, sachant qu’ils ne sauront pas. Et il y a Charlotte et ses lettres à.
Mais là, elle est dans la mer. Plongeons avec elle.
Sigolène Vinson
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