Elle avait abrité mes jeux d’enfants, les cache-cache à avoir peur de nos ombres, les ronces écorchant nos genoux. Les cris trop aigus, les souffles haletants, et les histoires inventées, toujours un prince pour nous sauver, une méchante sorcière terrassée. La main de Clémentine dans la mienne à la nuit tombée et le lent frisson qui nous parcourait le dos avant de rejoindre en courant les lumières qui donnaient vie à la cuisine de maman. Adolescente, le cache- cache se finissait en caresses et en baiser, la peur au ventre était différente, le compagnon tout autant. Le jeu dangereux. Le premier baiser sous ces voûtes comme un parfum de toujours, de sacré et d’immortel. Etait-ce l’endroit ou les souvenirs des premières fois qui toujours s’apaisent avec le temps, leur donnant un éclat irréel ?
J’étais partie. Nous étions partis. Deux par deux. Luc avait choisi Papa, j’avais suivi Maman m’appropriant son malheur, la trahison de mon père. C’est en éprouvant, en tentant la vie à deux que j’avais fini par comprendre, tout en ne pardonnant pas tout à fait, encore incapable d’admettre la vulnérabilité des êtres fondateurs. Les yeux baissés de mon mère, la tête trop droite de ma mère et l’homme grisonnant aux lunettes sévères me demandant : tu préfères ton mère ou ta père ? J’avais pensé au jeu absurde du : tu préfères un bras de quatre mètres ou avoir trois jambes. J’avais donné tort à l’absent, face à ma mère que je semblais, à cet instant, sauver.
Vingt ans que je n’avais pas revu cet endroit autrement que dans mes rêves et dans mes souvenirs d’absolu. Le cache-cache avait fini par ne pas trouver d’issue, Clémentine et Jérôme n’étaient plus que des fantômes dans ma mémoire, la promesse n’avait eu qu’un temps, celui de l’adolescence où tout semble sans fin. Les mots d’amour, quelques soient la bouche qui les émettait, n’avaient pas passé le seuil de l’enfance. Vingt ans. Je garais ma voiture le long du parc, pas encore prête à suivre l’allée qui me conduirait aux volets blanchis, sans doute décrépis par le vent inlassable. Repasser par le joyeux avant de retrouver le pire. Je longeais le mur que je dépassais à peine dans mes souvenirs, là mon regard captait l’horizon, elle était là, encore plus fragile mais elle était là. Des tasseaux métalliques avaient été posés ; la pierre, même elle, ne pouvait plus tenir seule. Des centaines d’années pour qu’elle s’érode, inexorablement la nécessité d’une béquille. Et nous, et moi ? A partir de quand a-t-on besoin d’acier, de fer, de froid, de dur pour nous tenir ; à partir de quel coup la colonne commence-t-elle à s’affaisser, les épaules se voûter ?
Le panneau « interdit d’entrer, danger » reposait là, la tête penchée, las de ne servir à rien qu’à donner bonne conscience à quelques hauts responsables.
Les ronces étaient toujours aussi hautes, les ombres pas moins menaçantes. Je pensais ne rester qu’au seuil, j’y entrais, arrachant le bas de mon pantalon trop léger pour supporter l’assaut. Vingt ans que j’énonçais à quiconque prolongeait une discussion avec moi que les lieux importaient peu, sans attache, comme si hurler à la foule je ne suis de nulle part était un gage de liberté. Vingt ans et me retrouver sous l’emprise d’un vieil amas de pierre en voie d’écroulement. Un cri, un second. Deux têtes blondes, statufiées de me trouver là, s’excusant de m’avoir fait sursauter. « Pardon Madame ». Madame. Voilà ce que j’étais devenue, Madame. Je me sentais aussi vieille et usée que ces pierres, je cherchais mon soutien. Ils ne suffisaient pas de creuser des trous, d’y enfoncer quelques vis et une barre de fer, le marteau trappait trop fort J’aurais aimé, comme cette vieille dame, des enfants se cachant sous mes jupes, des coins secrets seulement accessibles aux aventuriers, être le lit de mille histoires et de centaines de souvenirs. Sans m’en rendre compte, je glissais le long d’une de ses colonnes, fraiche et large, pour finir le menton sur les genoux, comme un enfant en attente d’un baiser qui le sauverait.
Ce baiser que j’attendrais toujours, mon téléphone me sortant de ma torpeur. « On t’attend, tu fais quoi ? Il va être l’heure. Tu nous rejoins là-bas ? »
Après le sms, le nom de Luc clignotant, la sonnerie réduite au silence, et la voix énervée de Luc. « Merde, Lucile, tu vas pas me faire ça, hein, lui faire ça. Aujourd’hui, tu dois être là. Lui il s’en fout, il est parti. Pas deux fois, Lucile, hein. Tu viens ? »
(Pour le respect de celles et ceux qui ont accepté de publier sur ce blog, les textes et les photographies sont protégés par le droit d’auteur. Merci de ne pas les reproduire sans autorisation)
Elle avait abrité mes jeux d'enfant
Charlotte Milandri
Un été jaune carré
Que vous dire de plus que je n’aurais dit sur Charlotte l’Insatiable, Charlotte Milandri. Son insatiable envie de construire, de partager, d’ouvrir d’autres frontières et d’abattre des murs. Son insatiable générosité, bonté, appétit de donner aux autres. Son insatiable idée des 68 premières fois et qui est devenu un réseau, une incroyable bulle où des lecteurs de divers horizons, âges, pays aussi, se sont regroupés, retrouvés, cette initiative au sein des centres pénitenciers d’ouvrir la lecture comme un droit, une clé.
Charlotte est cette personne qui croit en ces rêves, en ces possibles et qui par la main vous prend et vous les offre comme elle offre la liberté, l’envie et l’enthousiasme de partager la lecture, la vie. « Les 68 premières fois » sont nés de son génie et ont volé vers de nouveaux horizons. Avec elle, les chimères deviennent réalité et comme elle sait s’entourer de personnes de qualité, rien ne peut l’arrêter.
Charlotte a aussi cette capacité d’écriture, à entrevoir des chemins de lectures et de lettres. A-t-elle besoin que je lui répète que je crois en elle, que je crois en ces possibles pages, désirs, envies ? J’ai découvert ces mots, il y a quelques années maintenant, et je n’attends qu’une chose, qu’elle ose, pour elle, devenir une première fois, se lancer et croire en ces licornes, en son étoile, lever la tête, regarder sur le mur qui est devant elle et lui sourire.
Oser.
Vas-y Charlotte. Tu peux. Largement.
Je le sais.
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