Je n’ai jamais été fan d’Eugène Delacroix. Un style trop pompeux, quasi académique, l’école romantique pompier du 19ème siècle académique à souhait, celui proche d’un genre trop clinquant, poudre aux yeux, couleurs saturées.
Et pourtant, il ne me laisse pas insensible.
J’aime le Delacroix du Maroc et de l’Algérie qui lui fit découvrir le style oriental, les couleurs pures et contrastantes, la lumière éblouissante des ruelles d’Alger, l’intime et le délicat. Un Delacroix en opposition totale aux grandes toiles, à la grande histoire de France ou des thèmes mythologiques, aux grandes batailles esthétiques et scandaleuses.
Alors quand Catherine Meurisse s’est emparée du Maître, je ne pouvais que m’incliner. Car qui mieux que l’auteure des grands espaces, de la légèreté ou encore Moderne Olympia pouvait m’amener à me pencher de nouveau sur Delacroix, sur ce style qui a dépassé la simple œuvre, sur ce peintre devenu incontournable, sur son génie de la démesure. Qui pouvait me ramener à découvrir les peintures et l’homme, ce petit monde de l’art du 19ème siècle, de découvrir Dumas et son discours fait à occasion d’une « causerie », un an après le décès du grand homme. Une causerie dans la salle d’exposition de la Société Nationale des Beaux Arts, celle-là même qui avait plus ou moins tourné en ridicule sa manière de peindre, de ne pas respecter les proportions et le classique d’Ingres, de jouer sur la couleur et sa démesure, d’intriguer autour de ses œuvres sans reconnaître son génie.
Et Catherine Meurisse s’y emploie à merveille. Il faut la voir jouer du pinceau, reproduire les toiles, les peintures de Delacroix, jouer de la couleur en reproduisant à sa manière La mort de Sardanapale, la barque de Dante, La liberté guidant le peuple ou encore les carnets d’orient. Tout en conservant son style pour la parodie, elle fait de son dessin, de vrais chefs d’œuvre fiévreux. Les couleurs explosent, les corps se délitent, la grandeur se fait pudique lorsque les portraits effleurent sa main. Il n’y a nul essai à copier mais au contraire à se libérer de toute contrainte, d’un savoir faire et être artistique tout en revendiquant son admiration, son humour, sa flamboyance et sa tendresse pour le Maître.
Le discours-causerie de Dumas accompagne les dessins et Catherine Meurisse recompose le monde de l’art, la grandiloquence et présomption de cette page d’histoire, de ce petit monde qui admire et s’auto-suffit aux yeux de l’univers. On frise le ridicule, la caricature de ces hommes pédants, ignorants où l’art se cache, où l’histoire se joue. Les mots de Dumas singlent, dressent le portrait de cette page d’histoire, rendent hommage à Delacroix et sa peinture flamboyante, clivante, dérangeante, colorée, renversant la perspective, balayant les préjugés. Dumas se fait orateur, tribun, défenseur du génie de Delacroix, de ses gestes, de ses coloris, de ses carnets, de ses toiles démesurées.
Un roman graphique peinture absolument somptueux où l’humour mordant à la Daumier, la tendresse, la légèreté, l’espace, l’admiration profonde et sincère donnent envie de replonger dans les toiles et les carnets de Delacroix, les vagues de la plume de Dumas. On tourne les pages et on en ressort avec une forme de Syndrome de Stendhal déguisé. Et c’est beau. Tout simplement beau. Beau à découvrir que sous les caricatures de Catherine Meurisse se cachent une grande artiste, une grande maîtrise du dessin, du graphisme, de l’art.
Tendresse et force. Une liberté guidant les hommes.
Les bulles de la semaine sont à retrouver chez Moka.
Pourquoi pas ? La couverture est belle !
Elle me fait très envie cette BD. J'aime quand on me parle ainsi de peinture.
Je ne suis pas certaine d'adhérer mais il faudrait que je le feuillette pour me faire une idée plus précise.
J'aime Delacroix ET Meurisse :-) Je sais ce qu'il me reste à faire.
Bel article, qui me conduira peut-être à m'intéresser à cet album (qui ne m'attirait pas plus que ça).