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Catherine Lalonde - La dévoration des fées

Dernière mise à jour : 10 janv. 2020


Ne cherchez pas, ce livre est un feu follet, une incandescente dévoration, un mélange entre le rocailleux et l’infranchissable, le minéral et le rugueux, l’incroyable et l’extraordinaire. Il est un chant primaire, païen, chamanique, une ode à la voix des femmes, aux sorcières qui composent le monde, la croûte terrestre, aux incursions magiques qui nous dépassent, nous submergent, remplissent, emplissent nos ventres, nous font mettre bat, donner naissance, léguer une historie, embrasser l’inconnu, le connu, le défendu. Il est une pulsion, une rythmique, d’un cœur qui bat, braille, crie, s’amuse des contrefaits de la vie, joue sa partition colérique, endiablée, comme les démons rient de nous, se délectent de leurs jeux et nous piquent de leurs fourches et armes sacrées.


« Plus de dire, ni dur ni rien. Plus de début, ni commencement ni fin. Plus de verbe même. Car du langage viennent les prophéties, oui, et les interdits… »

Un conte de fées, un conte d’autrefois à la marge des « il était une fois » et n’en est que plus contemporain, stimulant, loin des morales et de la moralité. Un conte âpre, dansant, novateur, imaginatif, dévorant nos peurs, nos effrois, nos colères, nos tabous et autres voies, voix, histoires interdites. Un conte où le loup se joue de nos frayeurs, composant sa mélodie en sous sol long et gelé, terreux, urbain et rural sans que nous nous attendions à ces notes, cette dramaturgie, ce mot de fin, ce sortilège narratif.


En crescendo et exploration, en rythmique et chant, dévergondant la langue, remuant le terreau des mots, secouant notre ordinaire lexical, crachant, fantasmagorant notre train-train littéraire, Catherine Lalonde transmet un texte lyrique d’une puissance rare, romantique, trash-terroir, affamé de vie. Une histoire où la poésie se fraye un chemin entre les mots, les sons, l’urgence qui frappe, se glisse dans la ponctuation, dans les silences et les gestes retenus, fermés, remplis de désirs. Comme une spirale, un tourbillon où toujours revient le non amour, la non tendresse, celle qui à jamais fut la p’tite, celle qui coûte cher, s’octroie les tiroirs du poêle comme refuge, couche, celle qui tête le doigt au goût de lait comme on tête encore le sein de feu sa mère.


« Fuck. C’est une fille. »

Et Grand maman. Grand maman sans aucun sourire, aucun geste, cruelle parole d’or, tripes, foies, rognons, mère de l'absence, l'absente. Le diable, la sorcière. L’obsession de ne pas aimer l’enfant qui vient de naître, ce cul blanc, ces cris, ces vagissements, celle qu’il faut engraisser. Encore une bouche parmi la tralée en attente d’amour, de tendresse et d‘affection. Grand maman, celle qui demeure. Celle qui reste.


Mais dans ce grand Nord québecois, le froid fait grincer les portes, le vent s’engouffre sous les visages, creusant les fossettes et les crevasses. Une patate chaude à la face ratatinée, hurlant la tempête, serpentant dans les bouches, déversant les mots tels qu’ils sont entendus, criés. Primaires, bruts et forts, d’une vie taillée dans la roche. Une obsession orale prenant de l’ampleur, une sonorité, des verbes, une violence, des sanglots raréfiés, des premiers mots, ceux prononcés lorsque l’on ne connait pas la langue, les sens et les émotions, les baisers, la hargne inversée, la construction d’un nid dans le blanc intouché. Des paroles de fées poisons, des poudres noires, enchanteresses, un philtre d’amour qui s’insinue sous la peau, se transmet, devient, amplifient, joui, masse les corps et les fibres, balbutiements bestiaux et transmetteur de vies.


« Mangeuse de cru, échappées vives, déesses merveilleuses et montresses, affalées dans la poussière, refaite et harassées, à la naissance source, premier temps de l’amour, et de sa haine, renversée. »

Un feu follet oui, un livre incroyable où l’énergie se transmet, devient, prend corps, devient femme, dévore. Un livre qui une fois lu, nous poursuit. Un truc insensé, inouï, fort, déroutant. Un conte de fées où les fées ne sont pas que des fées, où les sorcières trifouillent autour des feux, des sons, des mots et donnent le rythme, des serpents, des épaisseurs, des couches à nos silences, notre corps, de la naissance à la mort, du silence à l’amour, des danses et chants de la vie.


Incroyable.

Insensé.

Dévorant.

Féerique.


« Il n’y pas de petites joies qui ne passent trop vite. »


La dévoration des fées

Catherine Lalonde

Le Quartanier



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