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  • Photo du rédacteurSabine

Bénédicte Belpois - Suza


«  J’ai été secoué d’un grand frisson : j’ai admis, là, assis sur mon tabouret en plastique qui menaçait de s’effondrer sous mon poids, pétant de chaud dans ma veste de cuir que je n’avais pas enlevée, que, s’il fallait choisir entre la femme et la terre, je choisirais la femme, que la solitude ne me serait plus jamais possible, même dans la mort. Ça m’a rendu sombre tout à coup, cette dépendance que je me découvrais. Je m’étais endormi nécessiteux, je me réveillais toxico. »

Elle, c’est Suiza,  la simple du village, celle qui ne comprend rien, ne parle pas le même langage, la même langue. D’ailleurs elle ne s’exprime pas. Elle ne fait que déposer des verres sur le bar, les essuyer et de son regard perdu, électriser la salle. Tout ce qu’elle est, c’est une femme. Une femme avec un cœur, une générosité dans les gestes, dans le corps qu’elle offre sans vraiment comprendre ce qu’elle offre, est, si ce n’est la violence et le désir qu’elle suscite, les hommes qui la forcent. Elle connait leur virilité, leur façon qu’ils ont de la vouloir, de la posséder. Comme dans un film. Sauf qu’ici ils ont des grosses paluches de paysan et leur came est de s’envoyer un Rioja avant de retourner aux terres qui les attendent.                         Lui, c’est Tomàs. Un homme qui n’a plus rien à perdre si ce n’est ce putain de cancer qui est venu se planter sans crier gare, dans son corps de veuf. Veuf d’une femme qui ne le satisfaisait pas, ne lui procurait aucun plaisir. Alors les femmes, c’est juste bon pour la culbute, pour ne pas s’attendrir, désirer comme on désire ardemment la force, la possession.  La seule qui est un peu de grâce à ses yeux c’est la vieille Agustina, celle qu’il l’a élevé, lui a donné le sein, celle qui a remplacé une mère, gitane, incapable de rester, d’être mère. Tomàs plus agriculteur que séducteur, plus château branlant que château en Espagne.                     

Alors elle et lui, Suiza et Tomàs c’est animal, impossible à comprendre. La parole a disparu, la dureté de la vie plus que vive, un coup pour satisfaire les bas instincts, les plus vils et les plus rugueux. Le manque d’amour, celui qui ne se reconstruit pas, celui qui manque toujours. Prédateur.


« L’homme est capable de tous les vices, de tous les compromis, de toutes les erreurs, et Dieu n’y est pour rien. Parce que l’Homme est fragile. Je cherche toujours des excuses aux coupables : on ne naît pas méchant ou fou, on le devient. Regarde-toi par exemple, tu es comme les autres, tu as juste un peu plus souffert. Il y a des gens qui naissent pour souffrir, Tomàs, et d’autres pour qui la vie est du miel.[…] La souffrance te fait ce que tu es, comme un arbuste de la sierra, poussé de travers à cause du vent trop fort. Mais en ton cœur, tu es droit, tout le monde le sait. Tu as trouvé cette Suiza, c’est ta chance, elle aussi est une figue de Barbarie pleine d’épines au cœur sucré et doux. Les manques lui ont fait une fragilité d’œuf, alors qu’ils t ont donné une carapace de tortue. Elle seule sait te l’enlever comme sans t’arracher la peau, toi seul sais la protéger comme elle le souhaite, sans la casser. Vos deux faiblesses ensemble, ça fait quelque chose de solide, une petite paire d’inséparables. C’est pas souvent, mais des fois quand tu mélanges bien deux malheurs, ça monte en crème de bonheur. Et ça, si Dieu y est pour quelque chose, c’est sûrement le cadeau qu’Il te fait. »


Certains romans ont l’art de me faire détester l’histoire lue. Puis par une alchimie qui se dévoile, une construction habile et directe, la lecture devient une curiosité voire un plaisir laissant une empreinte dans laquelle se fond une écriture, une maitrise des sens et des émotions. Il n’y a nul sentiment dans Suiza de Bénédicte Belpois. Au contraire tout est aspérité, sensualité renversante, charnelle, grave. Une banale histoire d’amour. Mais l’amour est-il banal ? Il y a dans l’écriture de Benédicte Delpois cette lente construction de la délicatesse, des cœurs abimés par la vie, solitaire qui dans un éclat de sensualité se trouvent, se retrouvent dans la tendresse des caresses, de la vie. Nul pathos ou douleur, juste la mesure du mot, de la rugosité. Sans fioriture, direct, comme ses longs paysages désertiques espagnols, qui cachent au détour de la Sierra, des montagnes verdoyantes, luxueuses où les plages de sable fin se heurtent aux premiers monts et rochers pyrénéens. Brulant et sec, fertile et langoureux. Et pourtant, là où on pourrait s’attendre à un enième roman d’amour, l’auteur nous oblige à requalifier notre regard, à poser nos mains sur des existences qui basculent, se heurtent à la vie, dans la légèreté et le désespoir des causes jamais acquises.

J’avoue avoir sauté quelques pages, y avoir laissé quelques mots partir, n’avoir pas su entendre toute l’histoire. Mais il me reste ce quelque chose qui me fait dire que Bénédicte Belpois est une auteure à part entière, que son écriture n’est pas qu’une simple écriture mais qu’elle est arrivée à construire un roman où le charnel parle, où les sentiments se dévoilent, dans l’intensité des silences et de la beauté humaine. De réelles qualités.


« Les femmes, même dans la misère sociale ou affective, restaient moins abîmées que les hommes. Malgré le manque, le vide, la solitude, il leur restait toujours un peu d'amour à donner, comme si elles naissaient avec un stock plus important, dès le départ. »


Suiza Bénédicte Belpois Gallimard

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