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Photo du rédacteurSabine

Bertrand Belin - Littoral


« Avant l’installation de l’armée d’un pays, la presqu’île était recouverte de genêts et d’ajoncs, et fourmillait de lièvres et de faisans. Les sternes nichaient par colonies immenses et les vanneaux l’hiver, les courlis, avec quelques hérons, envahissaient les vasières. Depuis que l’armée d’un pays s’est installée, les grives ont simplement stoppé leurs chants. L’accès aux quatre ponts est aujourd’hui restreint et il y a désormais un membre de l’armée d’un pays pour chaque port. »

La tempête souffle fort sur cette presqu’île de terre d’ouest. La houle frappe les bastingages, le vent s’engouffre sous les cabans, soulève les grains de sable, vient buriner les visages de ceux qui partent dos courbé, mains dans les poches, aux petits matins, rejoindre leur bateau de pêche. Au loin, les sternes, mouettes, goélands, cormorans se préparent à suivre le balai des moteurs vrombissants dans la nuit noire et saline. Sur la côte encore sauvage, le varech se dépose, les genêts bruissent et seuls quelques soldats d’une armée d’un autre pays, scrutent l’horizon à s’en fendre les yeux, à imposer sa présence, son droit, sa force.


Sur l’océan, trois hommes luttent contre les éléments. Ils pêchent. C’est leur métier. Ils donnent des coups de filets, curent les fonds, percent les poches d’eau, respirent l’océan. Ils sentent le sel, la vase, l’odeur des poissons croupissant dans la cale, sur le pont. D’un coup de couteau, ils décousent les prises, étrillent, éventrent le poisson, en sortent les viscères, remettent à l’eau abats et pourritures. Ils luttent contre le vent, le temps, l’eau, le besoin permanent de ramener sur terre de quoi vivre, survivre, lutter contre une armée d’un autre pays, une armée occupante.

A peine le temps de fumer une clope, les ordres, les brimades, les colères pleuvent. Le maitre, le second et le troisième. Pas de camaraderie, les phrases sont inutiles. Seuls les gestes sont précis et le silence, compagnon vénéré. Seul l'événement du matin, celui avant la sortie du bateau du port, revient en tête. Le bruit des bottes sur les pavés.


« Il pense qu’il ne pourra pas faire ça longtemps, se mettre à plat ventre comme ça à son âge, puis se relever. »


Ce roman sent la merde, la vase, les derniers poissons qu’on vide au cul du bateau encore en pleine mer. Il sent cette odeur unique qui nous retient, les pieds sur les rochers, le nez au vent à scruter l’horizon à la recherche d’une vague qui se lève, l’écume aux lèvres, les yeux plissés par le sel qui vient tabasser les pupilles. Il sent la dureté de ceux qui frottent leurs mains à la liberté. Ils respirent les farouches volontés d’insoumission, de puissance.

Ce roman sent le courage, la trahison, le défi, l’insoumission, la résistance face aux éléments et à ce pays qui est venu s’imposer sur ce bout de terre, sur cette presqu’île, ce bout du monde. Il sent l’envie de ne pas baisser la tête, de courber le dos ou seulement face au poisson, à ce que le ventre crie. Il sent le silence de la mer, les meurtrissures, les coups de poing qu’on retient et qui partent.


Mais surtout ce roman sent la poésie à plein nez. Il empeste le mot salé, il boucane le vent, la beauté de ces terres, de cette mer, de cet océan, des hommes transpirant, la sueur. Il pue les fonds, la crasse, sent la beauté de ceux qui croient en leur liberté, en leur profonde résistance, à la vie. Il bruisse du bruit de la mer, de la force de la houle, de la folie des hommes, des cormorans, ces longs oiseaux aux plumages noirs et de mauvais augures. Il sent la mer, les presqu’îles bretonnes, la Jument, Ouessant, le littoral.


Littoral de Bertrand Belin  sent les mots qui triturent, font mouche, déposent leur limon et mettent la pression. Il sent Vercors et son insoumission, la force qu’il faut pour se taire et résister. D'une poésie folle il nous hypnose.



«  Les oiseaux de mer sont dans leurs myriades à attendre la fin de l’intrusion. »


Littoral

Bertrand Belin

P.O.L

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