top of page
Photo du rédacteurSabine

Benoit Reiss - Le petit veilleur


« La réalité et ses caprices – il voudrait les annuler, réduire à néant leur méchanceté, leur cruauté. C’est pour ça qu’il cherche aussi souvent que possible la compagnie des images : celles des livre et des bandes dessinées, celles des cylindres-images, celles aussi qu’il rappelle à volonté dans sa tête. Ces images ne le trahissent pas ; elles avancent, s’arrêtent, reviennent, s’arrêtent à nouveau, repartent dans un sens ou dans l’autre, se répètent et s’effacent autant qu’il veut. Elles accompagnent ses désirs, se fondent en eux. »

Il ne sait pas trop où le mène cette voiture qui longe le fil continu de la glissière. Il se laisse faire, glisser au fond de ce siège bien trop grand pour lui et qui sent le cuir chaud. L'homme, au volant, lui parle. Il l’emmène. Il ne sait pas où. Et lui, petit homme, il voudrait pleurer mais il n'ose pas. Il regarde par la fenêtre, le paysage se modifier. Il pense, se souvient. Le pensionnat, le jardin, Monsieur, les sœurs, les rouleaux et cylindres à images, Sophie, ce jour dans la montagne où il a découvert la neige et les flocons, l'appartement, sa mère, la clé autour du cou, l’attente. Sans bruit. Invisible. Transparent. Ultra sensible.

Il aimerait bien des fois être présent, dire qu'il existe, sentir la main de sa mère dans la sienne, retenir un sourire, voir ses yeux ne plus exprimer cette tristesse, ne plus s’assoir seul dans ce café à l’attendre. Mais la parole, les sons ne passent pas. Alors il veille. Il est son petit veilleur, celui « qui ne dort pas et qui surveille pendant que les autres dorment ». Solitaire dans ce grand appartement, dans ce pensionnat. Il veille, regarde par les fenêtres, fuit le temps qui s’accélère, va trop vite, écrit des histoires qui ne sont pas les siennes. Il veille sur le monde, sur sa mère, absente, mystérieuse, imprévisible. Il veille sur ses rêves et ses silences. Il veille dans sa tête. Sans montrer signe de présence. Sage. La chemise claire. Repassée. Boutonnée. En silence.


Petit veilleur. Enfant mélancolique. Rêveur d'une poésie. Loin d’un monde qui lui apparait trop adulte, trop grand, trop loin de son monde silencieux et transparent, sensible. Il veille en espérant peut être autre chose que ce déchirement qu’il ressent. En espérant ce sourire, cette main, son prénom dans la bouche de sa mère, dans ses oreilles.



Le petit veilleur de Benoit Reiss est une pause dans le bruit du temps, dans les mouvements accélérés d’un monde accélèrant. Il s’étire dans une sphère délicate devenant bercement, silence, éloignement, poésie et respiration. Un bercement que l’on prend le temps d’embrasser, de ressentir avec toute sa sensibilité, cette façon de regarder la vie à hauteur de petit homme, seul et solitaire, invisible.

Il y a comme un chagrin, un prélude à la mélancolie tendre, douce, compagne. On ressent les déchirements, les questionnements et on avance avec le sentiment, une bulle protectrice, un refuge qui nous fait oublier la dureté d’une vie, l’incompréhension de l’enfance face au monde adulte, dans lequel on construit ses rêves, on s’isole pour grandir.


Tout en poésie et en image, dans l’art de la transparence et du silence, dans les non dits et les interrogations, Benoit Reiss dresse un tableau sensible et émouvant de l’enfance, de ce qu’il est difficile de comprendre lorsqu’on se sent différent, autre, veilleur d’un monde, veilleur des autres, amoureux fou d’un amour qui ne peut être, se tendre. Une poésie prélude, sensible. L’enfance et ses rêves invisibles, ses souvenirs que l'on cache dans le creux de ses plis et dans lesquels on puise, se retrouve, en douceur. Une mélancolie que l'on ne peut pas oublier et qui qui parlera à tout ceux qui regardent par la fenêtre de leur coeur en veillant sur le monde. 


« C’est pour cette réalité qu’il surprend, cette réalité qu’il ne voit pas, qui ne lui est pas destinée, qui existe hors de lui, hors de son avenir, hors de ses peurs et de ses désirs. […] Cette réalité est passagère. Elle dévoile l’invisible, toutes les voies de l’invisible, et dans un instant, quand il aura quitté son poste d’observation, elle va disparaitre. […] Il regarde comme s’il voulait aspirer la vue. »


Le petit veilleur

Benoit Reiss

Buchet Chastel

9 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page