« Un homme âgé entre dans le café, belle allure, joli chapeau. Il cherche quelqu’un du regard, hausse les épaules, s’installe près d’un couple d’adolescents. C’est lui, c’est forcément lui. Ses mains serrent une boîte entourée d’un ruban. Il attend le « petit bout de femme dynamique, aimant les opéras de Verdi, le chocolat et les romans policiers » qui lui a donné rendez-vous dans ce café de la rue de la liberté, cette Bonnie qu’il a connue fugacement mais qui lui a redonné envie de s’asseoir sur le sable pour regarder la mer. Une plage au pôle Nord : voilà ce que Mandragore a également découvert avec Bonnie. Un paysage aussi incongru que fantastique. Une bouffée inattendue d’espoir, si cela existe, alors tout est possible, on passera sans encombre les ultimes postes de contrôle. Les yeux grands ouverts sur les gouttes de pluie qui commencent à s’abattre sur les vitres, il ne s’impatiente même pas. Ne paraît pas inquiet. Serein, plutôt. »
« Une plage au pôle Nord » tout est dans le titre ! La tendresse : la chaleur d’un sable velouté dans l’immensité désertique froide et glaciale. L’absurde : aurions nous franchement envie de nous allonger sur une plage au pôle Nord alors que justement plage il n’y a pas !C’est du grand Arnaud DUDEK. C’est le réchauffement climatique orchestré par un génie malicieux. C’est « Et la tendresse bordel » sans limite d’âge. C’est un regard espiègle et si tendre sur l’amitié, l’amour, les relations humaines, la complicité, le désamour…
« Une plage au pôle Nord » un roman qui ne se résume pas. Un roman où chaque personnage apporte l’épaisseur à l’autre pour lui donner le sens d’exister, le droit de respirer. C’est une histoire où chaque protagoniste est nécessaire à l’existence de l’autre comme un miroir à sa propre vie. C’est la vie qui s’écoule de son stylo, l’encre de la générosité et de l’humanité, la bonté, l’amour, la complicité, l'amitié, la fraternité. C’est une histoire qui fait du bien, qui redonne confiance en nous, en l’autre, qui nous égratigne un peu au passage mais qui est tellement bon et tendre qu’on en rigole. C’est Arnaud DUDEK en somme.
Une histoire qui à la base ferait sourire : un beau matin et par un pur hasard (mais nous savions bien que le hasard n’existe pas) Françoise « Bonnie », veuve septuagénaire, met la main sur un appareil photo numérique de marque Panasonic, trouvé au pied de sa porte. Seule et mélancolique de son mari perdu un jour de grande décision abracadabrantesque, cet objet va l’amener à rencontrer Jean-Claude, prénom has been s’il en est, jeune père divorcé cabossé par la vie, propriétaire hypothétique du dît appareil. Et avec lui entre dans cette tragi-comédie humaine, toute une série d’hommes et de femmes plus attachants les uns que les autres, tous apportant une pierre à l’édifice humain qu’est la vie.
« Bien sûr, Françoise et Jean Claude ne savent pas qu’ils auront un an pour être amis. Mais ils ne perdront pas de temps. Ils éplucheront des légumes, reverront de vieux films, écouteront de vieux disques, échangeront des coups de fils, converseront éperdument. »
Nous pourrions penser que cette histoire est fantasque, improvisée, ficelée de bric et de broc par un récit emmêlé, enchevêtré. Il n’en est rien. Arnaud DUDEK a chorégraphié son roman comme un ballet. Chaque récit, épisode, chapitre apporte l’épaisseur, la lumière, la raison, l’humour ou la tragédie au moment où il est nécessaire de l’apporter. C’est écrit sur un fil mais qui n’est absolument pas un fil où le pied risque de glisser. Une vraie maitrise, un cirque élégant et parfaitement orchestré. On se demande où il trouvé cette idée, cette phrase, ce truc qui fait que et hop d’un revers de plume, il nous laisse béat, muet, souriant, admiratif.
Je confirme Arnaud DUDEK est vraiment un génie… Un génie malicieux, facétieux et drôlement perspicace. Celui que pour rien au monde, on n’aimerait s’en séparer, celui qu'on aimerait emmener sur une plage au pôle Nord.
« La zone industrielle est aussi déserte qu’une ville fantôme du Far West. Il n’y a qu’Alfonso et sa vieille guimbarde ; Alfonso qui n’est plus en colère mais tout simplement las. Sa lassitude n’a pas d’épicentre. Elle est globale, générale. Une lassitude de dernier des Mohicans. Et cette sensation de vide est si violente qu’elle l’étourdit. A quoi ça sert cette cavale perpétuelle. Se lever marcher manger s’activer en vain manger regarder la télé somnoler se coucher ne pas réussir à dormir ruminer se lever. Survivre à son frère, encore combien de temps ? Dans la vie, il faudrait une fin heureuse pour tout le monde, se dit-il. En ce qui le concerne, il n’y croit guère. La machine va continuer à se ripper, inexorablement. »
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