« Je lui dois le petit peuple de mes cauchemars. Je lui dois une myriade de troubles obsessionnels. Je lui dois mon inaptitude chronique à la décision. Je lui dois des litres de sueur. Je lui dois des idées noires et quelques crises de nerfs. »
D’Arnaud Dudek, j’ai quasi tout lu, non parce que je suis fan, mais parce que tout simplement Arnaud est mon bon génie, mon antihéros, cet être qui donne envie d’embrasser la vie, le monde, son voisin, sa voisine. Cet homme qui d’un coup de pirouette, vous donne la grâce, le pouvoir de croire aux chimères, aux licornes et autres légendes. Arnaud possède ce quelque chose de poétique, une poésie aérienne, malicieuse, lunaire, une poésie qui nous resserre, nous rend humain, beau, fragile et fort, humble. Arnaud est donc un écrivain que j’affectionne beaucoup. Et il n’est jamais facile d’écrire sur un auteur que l’on apprécie pour ses valeurs décrites, sa générosité, son côté pudique, sa timidité, son écoute, son regard perçant sur le monde qui l’entoure.
Alors oui, vous parler de son dernier roman « Tant bien que mal » est une gageure. Un défi parce qu’Arnaud a cassé ses schémas, a trempé sa plume dans ce qui fait mal, dans le sang, la dureté de la vie, l’enfance qui ne s’éloignera jamais vraiment mais qui pourtant fait de nous un adulte bancal, un adulte marchant avec des béquilles, un être pour qui prendre une décision devient une gageure, un chemin sinueux, voire terrifiant.
« Certains silences sont des libellules enfermées dans des sous-sols immenses. »
Dans ce roman journal intime, journal de bord d’une vie, Arnaud nous conte la perte de l’enfance ou du moins il raconte comment on devient un adulte qui est mort un jour que l’on aurait pu qualifier de banal s’il n’avait pas croisé une Ford Mondeo, élue voiture de l’année en 1994, s’il n’avait pas parlé à un jeune homme qui portait une boucle d’oreille, s’il n’avait pas accepté de l’aider à retrouver son chat perdu dans la forêt, s'il n'était pas monté dans la dite Ford Mondeo. Cet homme qui le poursuivra toute sa vie, qui fera de cet enfant chargé de rituels complexes dans les nuits noires et sombres, un homme qui penche, attaché à une clé qu’il portait ce soir là autour de son cou, comme un talisman, une protection aux souvenirs qu’on ne veut plus se rappeler. Une enfance qui en trente minutes, avait été foudroyée, balayée, violée, perdu.
« Ce qui s’est passé durant ces trente minutes, je refuse de m’en souvenir. Je ne m’en souviens pas. »
Il faudra attendre vingt trois ans pour que les souvenirs reviennent par lambeaux, par fragments peupler la tête de cet enfant devenu adulte, un homme. Vingt trois ans et une voix. Vingt trois ans et une décision, une vie qui se trace, qui s’accepte, devient, grandie. Vingt trois ans pour trente minutes de souffrances qui n’aurait du être que trois minutes d’un bonheur quotidien.
Je ne vous en dirai pas plus sur ce sublime roman d’Arnaud Dudek. Je ne vous en dirai pas plus car Arnaud m’a complètement chamboulée, retournée, ébouriffée avec une tendresse folle, une douceur incroyable dans une histoire dramatique, dure, terrible. Il m’a prise à contre-pieds. Là où je l’attendais dans son univers poétique, décalée, généreuse comme il sait le faire et m’emmener, il m’a foudroyée par la qualité de son histoire, de son écriture épurée, la dose parfaite entre ce qui inhumain, ce qui perfore nos ventres, nos âmes, et cette juste parcelle de tendresse, de ce qu’il est : généreux.
Arnaud Dudek a écrit sur les fantômes de l’enfance, leur a donné le droit de s’exprimer, de se rebeller, de prendre la décision de ne plus être fantômes mais d’appartenir à la vie, de revenir à la vie. D’une écriture tendre, douce, pudique, restreinte, ciselée il inaugure des mots qui osent aborder des rivages qu’il n’avait jusqu’à là pas franchi. Et si on reconnait sa façon attachante et tendre qu’il a de nous conter ces antihéros, ces êtres cabossés par la vie, on reconnait surtout sa générosité, ce regard qu’il porte sur la fragilité, sur ce qui est beau, dans la simplicité de la beauté, sur la tendre vision d’un monde nouveau.
Encore une fois, Arnaud a su me prendre par la main et m’embarquer dans son univers, sa tendresse, sa liberté insoumise à la vie, son insatiable regard sur ce qui fait qu’il existe, grâce à lui, des hommes bons. Des hommes qui ne sont ni plus ni moins qu’eux mais qui, un jour, on ne sait quand, relève la tête et décide de s’aimer un peu.
« Je n’ai pas l’âme d’un héros : si une personne se fait agresser sous mes yeux, je ne suis pas certain d’intervenir. Je me suis débarrassé de mes tocs grâce à une sorte de thérapie comportementale, mais je rechute de temps à autre […] Dans la vie j’avance lentement. Souvent je me sens perdu. L’odeur de la cigarette me rend nauséeux. Souvent je suis incapable de prendre une décision. Décider, je ne sais comment on fait. »
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