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Arnaud Dudek - Les vérités provisoires

« Une étude récente a montré que les êtres humains mentent en moyenne six fois par jours. Disons que, dans ce domaine, Jules n’est pas du tout dans la moyenne. Il aurait tendance, plutôt à crever le plafond. »

D’Arnaud Dudek, j’ai lu quasi tous ces romans je crois. J’aime son écriture, ce personnage, cet être un peu rêveur, un brin bon génie Aladin qui sortirait d’une lampe magique, un brin philosophe de la vie. J’aime la poésie qui se dégage de son écriture, l’humour qui effleure les pages, sa bonhommie mais surtout cette tendresse folle avec laquelle il nous dépeint ses personnages, son petit monde, cette gentillesse qui n’est que beauté, discrétion et générosité.

Arnaud, c’est ce sourire, ces yeux malicieux cachés derrière des lunettes, un poil moqueur, un brin rieur et qui pourtant au détour d’une phrase, d’un mot, fait mouche, vous serre un peu le cœur parce que ce mot dit, cette phrase écrite n’est que pure vérité sur un monde qui semble se rétrécir, ne plus faire la part belle aux doux rêveurs, aux humanistes, aux philosophes à la fragilité certaine. Un poète à sa manière. Quelqu’un qui ne peut s’empêcher de nous faire sourire, de nous emmener avec tendresse à aimer les sensibles, ceux qui sont un peu à la marge, les délicats, les freluquets, les timides, les discrets, les menteurs « par peur, par lâcheté. Jamais pour blesser, plutôt pour sauver. Parce que c’était facile, utile, divertissant. ». Ceux qu’on aime sans le dire, le clamer, ceux qui sont juste là, poser sur un fil mais qui sans ce fil, sans leur présence, nous manqueraient. Ceux qui se camouflent derrière des paravents, des costumes trop grands pour eux, des déguisements imaginaires et qui ne font jamais les choses à moitié.

Et puis il y a ceux qui tentent de résister au quotidien, à l’ennui, la peur, les doutes, les incertitudes de ne pas être aimer, de ne pas s’aimer. Les faiseurs de troubles, d’émoi, de fragilité, de sensibilité. Des acteurs de la vie « courante », de la vie qui va trop vite, des empêcheurs de tourner en rond et qui se prennent les pieds dans les tapis rectangulaires. Des fantasques, des vagabonds de l’éloge de lenteur, des poètes farceurs.


C’est cela le monde d’Arnaud Dudek. Un doux petit peuple, des saltimbanques de la vie, marchant, tels des funambules sur une corde qui oscille, dans le vent joyeux d’un air de fête foraine. C’est frais tendre, doux, rieur, farceur, un peu moqueur mais jamais méchant, jamais niais. C’est un air de fête, un Tati des temps modernes, un Charlie à l’époque Charlot.


C’est cet univers qu’on retrouve de nouveau dans « Les vérités provisoires ». Son univers à la Prévert. Son univers à la Doisneau.

Jules est un menteur qu’on pourrait qualifier de professionnel. Il ment tout le temps, à tout moment si bien qu’on ne sait plus où est la vérité. Lui-même est un vaste mensonge, une escroquerie à la vie, une faiblesse posée là et qui se dépêtre comme il peut pour contrer les petites imperfections du quotidien. C’est un gentil, un sensible, un oiseau posé sur une branche sciée à la base qui tente d’apprendre à voler mais qui ne peut s’empêcher de tomber du nid.


« La gentillesse, curieuse disposition d’esprit. Elle pourrait être assimilée à une sorte de grâce, dans ce monde brutale où l’ADN du quotidien a pour caractéristiques fondamentales sales coups et mauvais coups, rivalités et haines, cynisme et arrogance. Malgré tout la gentillesse passe souvent pour mineure – confrontée par exemple à la générosité, à l’altruisme ou au courage, elle parait toujours plus petite. Trop discrète, face à la méchanceté, qui n’est qu’éclats et sait occuper la scène. »


Depuis plus de deux ans, Jules est sans nouvelles de sa sœur Céline. Disparue par un beau matin en revenant de la boulangerie, après avoir été achetée une baguette bien cuite à la boulangerie du coin, elle n’est jamais réapparue. Envolée. Volatilisée. Hop. Comme ça. D’un seul coup. Sans témoin ni piste. Nada. Un avis national de recherche est lancé mais ne donne rien. Céline, jeune fille secrète, sociable et discrète, a disparu par un beau jour en sifflotant, la baguette, on imagine, dans la main ou sous l’aisselle. Evanoui.


« On avait envie de se convaincre que Céline était partie faire un tour, qu’elle allait revenir d’un instant à l’autre ». Mais non, elle n’est pas revenue. »


Vous écrire la suite de l’histoire serait terriblement triste. Car Arnaud Dudek a cet art de rendre d’un coup de crayon le moindre gris en petite lumière sautillante, la moindre perplexité en douceur et éclat de rire, la moindre anicroche en tendresse. Il a l’art de sublimer les personnages, de les rendre attachants, aimants, de mettre en corrélation les éléments pour en faire un grand sketch, une interprétation théâtrale, rendre la vie plus belle.


Chorégraphe des mots, il écrit son roman comme un ballet, des actes où chaque personnage entre en scène et amène son grain de sel, son poivre et sa sauce épicée. Il cuisine sa plume, la rend gouleyante, nous retourne telle une crêpe et nous donne un plat que l’on savoure avec une très grande tendresse, douceur, appétence. C’est généreux, humain, sensible, amoureux, fraternel, complice et ce petit truc qui fait qu’on ne peut qu’aimer ce personnage de Jules même si à la base il est un fieffé menteur, un véritable homme à qui on peut rien confier, rien prévoir, rien savoir.


Alors même si ce n’est pas mon préféré dans ma pile Dudek, j’ai une tendresse infinie pour « les vérités provisoires ». Car si je devais résumer ce roman, je divulguerai son tour de magie. Et comme dans tout spectacle, il n’est pas bon de vouloir dire toujours la vérité, de vouloir raconter la fin sans en connaitre le début, sans dévoiler le mystère et le génie créateur de cet Aladin aux mots magiques. Il est bon de temps à autres de faire de ces mensonges, des vérités provisoires dans lesquelles on se reconnait, on sourit et on vit. Doucement. Tendrement.



Les vérités provisoires

Arnaud Dudek

Alma

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