« Des hommes et des femmes un beau jour nous bousculent, s’installent à notre table, froissent nos draps, mélangent leurs habitudes aux nôtres, des intimités s’enchevêtrent nous nous confions à eux, comme jamais, nous pensons qu’ils vont marquer durablement nos corps et nos âmes mais la minute d’après ils s’évanouissent comme des fantômes, sans laisser de traces, ou si peu. A l’inverse, des gens frôlent à peine notre vie, une minute, une seconde. Mais c’est pour la bouleverser, la dévaster. »
Ce que j’aime profondément chez Arnaud Dudek, c’est sa tendresse pour les gens ordinaires qui peuplent notre univers, ne font que passer mais laissent une trace, un souvenir, un quelque chose de pas forcément grand mais qui nous fait souvent du bien. Il y a de cela en lui, une générosité non feinte, sincère, teintée d’un humour discret et pudique, un regard interrogatif sur le monde et une légèreté semblant artificielle, ludique et qui, en fait, met le doigt là où ça irrite, gratte, percute. Un regard rempli de tendresse mais qui n’oublie pas que derrière une vérité, il peut se cacher une farce provisoire, un contrepied à nos accords absolus.
Laisser des traces rejoint cette idée.
Ce personnage de maire de la génération 2.0, sympathique, accessible, d’une ville somme toute classique, se perd dans ses rêves de grandeur, son engagement et son ambition. Devant l’ampleur de la prestigieuse fonction, il croque les ors, les frontons d’un monument en en espérant un autre, plus noble, plus fier, plus grand et beau. Mais qu’en est-il réellement lorsque sur sa route, le grain de sable enraye la machine, laisse penser que l’ambition doit devenir mesurée et mesurable, que les rêves ne doivent pas être abandonnés ni délaissés au profit d’une conscience oubliée ?
« On démarre, on avance, on se tient droit, bien droit entre le sol et le ciel. On trouve sa cadence, sa foulée, son rythme, les obstacles on ne les voit pas – pire on les piétine. On ne sent plus sont son corps, les tuyaux, les rouages, on plane, et le but que l’on s’était fixé, on se dit qu’on va bientôt l’atteindre. Au passage, on a abandonné un peu de soi, oh trois fois rien, un peu de conscience, un peu de candeur, deux ou trois gouttes d’humanité, on a troqué tout cela contre des yeux secs et un costume d’ambition. On se imperméable à tout. Mais voilà. Un jour. Un brouillard. Nous traverse. »
On pourrait penser ce roman, léger, un poil caustique certes mais léger, désinvolte, simple dans le ton et l’histoire. Une histoire d’ambition et d’un monde politique qui a oublié les ors d’une république telle qu’elle a été conçue au profit des ors d’une république libéralisée et ultra libérée.
Mais c'est mal connaitre Arnaud Dudek qui, d'un contre pieds, d'un mot, d'un sourire, nous prend par surprise, nous assène par de petites phrases, admirablement bien construites, ces vérités provisoires derrières lesquelles on se réfugie pour croire encore un peu à notre grandeur, notre ambition, nos envies et rêves. On en vient à réfléchir sur notre propre parcours, nos rêves non pas d’enfant, qui restent des rêves bien souvent irréalisables ou oubliés, mais ce chemin qui nous lie à l’adulte que nous sommes, ce que nous aspirons et sur lequel on butte, modifie afin de paraitre ou d’être. On en vient à s'interroger à ce que nous laissons ou ou voudrions laisser comme traces.
Et encore une fois, on en vient à se dire qu’Arnaud Dudek rejoint ce ton léger que l’on aime, cette façon qu’il a d’aborder des vérités et des histoires avec sa tendresse et sa bienveillance, cette simplicité qui font que le retrouver est toujours une belle surprise. Une surprise qui laisse des traces.
« Laisser des traces. On aimerait tous en laisser. Mais ce qui compte, ce sont les toutes petites traces qu’on peut laisser chez les autres. »
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