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  • Photo du rédacteurSabine

Arnaud Cathrine, Eric Caravaca - Les garçons maudits



« Un matin que nous patientions devant les portes du lycée encore fermées, constatant que sa bande de hyènes n'était pas encore arrivée, il m'a proposé une cigarette. Je ne fumais pas en début de seconde. Depuis lui, je fume. Pour la première fois, je l'ai vu de près. Je me suis surpris à fixer cette incisive mal placée que découvrait son sourire. En haut. Il avait une incisive légèrement en avant par rapport aux autres dents et c'est ce qui faisait son sourire. Ça, il ne le savait pas, j'en suis certain. Il n'avait pas conscience que ça faisait tout. Que son pouvoir commençait là. Il a dû sentir que j'étais candidat. Candidat à lui. »


Ils sont deux, deux jeunes garçons que tout oppose : l’un est soucieux de sa virilité, un peu teigneux, charpenté, à l’humour offensif, brillant en tout. Il impressionne quiconque s’adresse à lui, est le fer de lance, l’ami à avoir, le compagnon à côtoyer, le pote à inviter, l’idole. L’autre est son contraire, l’ombre, le délaissé des cours du lycée, le chétif au corps frêle, le mec impopulaire à renier. Autour de lui sifflent les mots de « Tarlouze », « fiotte » et son seul but est de se tirer de ce lycée sitôt les études secondaires achevées. Ce qui les rapproche l’un de l’autre : une histoire d’alter égo, l’un sublimant l’autre, l’autre donnant le change à l’un. La nuit et le jour, l’ombre et la lumière.


On pourrait croire à une histoire sans idéaux, dans l’ennui de l’adolescence et de ces rencontres qui construisent et se perdent dans les dédales de la vie adulte. C’est bien autre chose que nous raconte cette histoire de garçons perdus. C’est la force et l’émotion, la suprématie de celui qui s’égare et l’éclosion de celui qui devient, la vie et la mort, les pertes de repères et les désillusions, les trajectoires qui ne tiennent qu’à un fil, un mot, les fils qui se construisent, deviennent romans, quand d’autres s’isolent et se cassent.


« Et, ce faisant que je ne connaissais rien de l’amour, je ne connaissais pas le moins du monde à ce qui s’était bâti entre lui et moi. Je ne sais pas si c’était une forme d’amour. Un lien de dépendance très certainement. Et, au final, une forme d’amour. Que je cherche aujourd’hui encore sur le visage de mes amis, en dépit de tout ce qui est advenu par la suite. Je le vois apparaître parfois en filigrane. Je ne m’en suis aperçu que récemment. »

Arnaud Cathrine manie la plume, l’économie des mots, signe d’une sensibilité et d’émotions cette rencontre, une amitié naissante, grandissante. En quelques phrases, il nous brosse le récit, inscrit les personnages dans leur histoire, leur dramaturgie et en fait une ligne de force et de fragilité. C’est pur, sans fioriture, clair, vrai, direct. Et c’est cela qui fait la rébellion, la révolte, la force de ce roman. On entre dans une nuit noire et violente d’adolescents pour en ressortir avec la force et la fragilité des premiers pas dans la vie.



Les photos-images d’Eric Caravaca sublime le tout. On erre dans le prisme de l’histoire par l’appareil comme si la violence contenue dans les mots de l’auteur s’étalait sur les murs et ces salles dévastées, comme si la vie s’était perdue dans les méandres de souvenirs d’un lointain passé. Il y a l’émotion, la fragilité inspirée par ce qu’on a lu, qui s’étale au grand jour, jouant le raccord, le trait d’union entre l’imagination et l’émotion.


Arnaud Cathrine et Eric Caravaca nous touchent par la qualité et la beauté de l’écriture, du regard, des émotions partagées. Il y a ce quelque chose qui passe, s’installe, nous étreint.


« Remplacer. Un truc de survie quand on se suffit si peu à soi-même. »


Et mettre dans ses oreilles Dominique A - Les Garçons perdus



Les garçons perdus

Arnaud Cathrine et Eric Caravaca

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