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Photo du rédacteurSabine

Annie Ernaux - La honte

Dernière mise à jour : 14 déc. 2022



« Je n'ai plus rien de commun avec la fille de la photo, sauf cette scène du dimanche de juin qu'elle porte dans la tête et qui m'a fait écrire ce livre, parce qu'elle ne m'a jamais quittée. »

La honte. Ce truc poisseux, collant, misérable, méprisé, englué à la peau, nous obligeant à louvoyer, à capituler face à l'humiliation, au déshonneur, à la perversité, au scandale, aux flétrissures, à la colère, la douleur, l'abaissement, l'imperfection, la bassesse, le dégout. Une clé, une serrure fermée à double tour, la douleur, la culpabilité.


La honte.


J'ai longtemps chercher à écrire dessus, à plonger dans mes viscères mains nues et descendre sans rappel dans mes gouffres ténébreux et abjects. Le sentiment de ne pas être à la hauteur, de se sentir coupable au regard d’une société, d’autres, de soi. Culpabilité. Et ce trop intime dépouillé, dénudé, livré, abaissé, humilié, anéanti. Se détruire, griffer les gouffres, se rabaisser, mentir. Blessure et souffrance de ne jamais être, de devoir se taire, taire le corps, taire le moi. Et ce silence. Le silence de la solitude des honteux.


« Il y a ceci dans la honte : l’impression que tout maintenant peut vous arriver, qu’il n’y aura jamais d’arrêt, qu’à la honte il faut encore plus de honte. »

Il serait facile de décrire la parole comme la solution miracle. Il faudrait pouvoir amoindrir les faits, se sentir libre d‘être, remonter les traces matérielles, les photos souvenirs d’une enfance oubliée, trier les couleurs, les ombres, dater les années, décrypter les silences et secrets, les comparaisons. Reconstituer les dialogues et les contradictions, les silences et les non-dits, la douleur. Creuser les failles. Dépasser le récit. Libérer le corset, les cris, les silences, les humiliations et vulnérabilités, le mépris.


« La honte est devenue un mode de vie pour moi. A la limite, je ne la percevais même plus, elle était dans le corps même. »

C’est cela que nous livre Annie Ernaux dans La honte. Son passé, l’enfance, l’acte meurtrier qui, un jour, s’est greffé aux sentiments, au corps, au mépris et au silence, au geste. La douleur humiliante de ne pas être. Etre à sa place. Etre à la hauteur. Etre. L’indicible cri, regard, geste. Les mots. Ecrire les photos jaunies, l’idéal attendu et jamais atteint, les interdictions, la colère, la folie, les sentiments castrés, l’intime dénudé, les douleurs, silences, non-dits. Les mots, écrire, fouiller, déterre. Ne plus servir la colère, l’absence et l’abandon, la terreur, l’incompréhension, l’enfermement. Nos indicibles cris. La honte.


J'ai longtemps cherché à écrire sur la honte. J'ai longtemps cherché à la déterrer.


Le honte.

Et un jour, faire face.

Miroir indocile.


« Le pire dans la honte, c’est qu’on croit être seul à la ressentir. »


La honte

Annie Ernaux

Folio

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