top of page
Photo du rédacteurSabine

Annie Ernaux - L'usage de la photo


« Souvent depuis le début de notre relation, j’étais restée fascinée en découvrant au réveil la table non desservie du dîner, les chaises déplacées, nos vêtements emmêlés, jetés par terre n’importe où la veille au soir en faisant l’amour. C’était un paysage à chaque fois différent. Devoir le détruire en séparant et ramassant chacun nos affaires me serrait le cœur. J’avais l’impression de supprimer la seule trace objective de notre jouissance. »

L’usage de la photo est peut être un des textes d’Annie Ernaux les plus intimes, les plus déstabilisants, perturbants et à la fois le plus beau, honnête, fort. Une photo après l’amour, après ces petits matins où l’on découvre sur le sol, un amas de vêtements oubliés, une jupe, des sous-vêtements éparpillés, des chaussures jetées pêle-mêle, une ceintures à peine arrachée du jean’s tombé à même le carrelage, le parquet… Un tableau vivant de vêtements jetés en boule, de couleurs chatoyantes, d’un univers chargés d’érotisme. Les corps qui s’appellent, se cherchent, le sexe de l’autre dans sa nudité la plus totale. L’intimité de la jouissance. La pulsion sensuelle. Nus. Vivants. Déshabillés totalement. On ne mesure plus à quel point faire l’amour est d’abord cela : l’érotisme absolu de deux corps qui se rencontrent avant de devenir une histoire.


« J’ai vu pour la première fois le sexe de M. dans la nuit du 22 au 23 janvier 2003, chez moi, dans le couloir d’entrée, au bas de l’escalier qui mène aux chambres. La première apparition du sexe de l’autre, le dévoilement de ce qui était jusqu’à-là inconnu, à quelque chose d’inouï. C’est avec cela que l’on va vivre, faire notre histoire. Ou pas. »

L’usage de la photo est un recueil de deux corps qui se trouvent à un moment fort de leur vie, un moment de désespoir, de solitude face à la mort, à la vie. Deux êtres qui se rencontrent et se laissent embarquer dans un jeu de l’amour et du hasard pour renaitre de leurs cendres. Deux êtres qui exposent leurs vies sans pathos, sans amertume, sans pleurs ni regrets. L’intime dévoilé sous les yeux de l’autre. Au plus près du corps meurtri.

Deux vies au bord d’un fil. Deux funambules qui décident de vivre à tout prix, dans la jouissance de l’instant, de l’envie sans savoir si demain ou après demain ils seront encore là dans cette chambre. Deux êtres entre la vie et la mort. Deux êtres à un tournant de leur vie. Une femme et un homme. Prendre en photo chaque matin d’union, les vêtements délaissés sur le parquet, le sol, dans la cuisine, la chambre, le salon comme on prend la vie à pleines mains, comme on aime sans se poser de question, l’arrangement né du désir et du hasard, voué à disparaitre l’instant où ils seront ramassés. Une photo de l’usage de leur amour, de l’érotisme, de la vie. Une photo, la photo du désir.


Un texte à deux voix, récit de vie, d’instant où la mort frôle. Un texte où l’érotisme photographié, écrit devient force, sincérité jouant avec les caprices de la vie, du destin. Un recueil où « se déshabiller », «être nu » porte la fragilité, la pulsion, le nom. L’usage de la vie, la mort, l’amour. Un texte comme une photo, un instantané d’une intimité amoureuse, de vêtements qui racontent combien aimer est la pulsion de corps qui se rencontrent juste avant une mort possible.


« Les photographier m’a paru une dignité rendue à ces choses que l’on met si près de soi, une tentative d’en faire, d’une certaine façon, nos ornements sacrés. »

L’usage de la photo

Annie Ernaux – Marc Marie

Folio




46 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


bottom of page