« Tu n’as d’existence qu’au travers de ton empreinte sur la mienne. T’écrire, ce n’est rien d’autre que faire le tour de ton absence. Décrire l’héritage d’absence. Tu es une forme vide impossible à remplir d’écriture. »
Lire Annie Ernaux est toujours une expérience qui nous ramène à soi, ce soi intime, secret, pudique, elle qui fait de l’impudeur, son sens à l’écriture, celle qui a fait de l’autobiographie son écrire la vie, ses mots, une photographie du corps, du temps, du sens de l’écriture. Une sociologie de l’intime qui devient soi, dans laquelle on se reconnait, on apparait.
Lire Annie Ernaux et sa longue lettre. Une lettre à L’autre fille, à la sœur, à soi, à l’absence trop présente, aux mots qui n’ont jamais été dit, à ceux qu’on ne dira pas, à l’amour qui ne s’est pas écrit, aux fantômes dont il faut se souvenir, enterrer pour devenir, aux vivants et aux morts, à la petite fille, à la sainte et à la démon, aux mystères et aux non dits, aux manquements et aux histoires qu’on se raconte.
Annie Ernaux dont on se perd dans l’écriture comme on se perd dans la passion, dans le cours du temps et des temps à voix et mains nues, des armoires dont on ouvre les portes pour mieux entrer dans le présent, dans les mots et l’écriture.
L’autre fille.
« Rien dans l’enfance n’a de nom. »
Ecrire une lettre, t’écrire, lui écrire, s’écrire.
Lier le récit à son récit, sa vérité à la sienne. Poser et écrire la vie avec ses contenus, ses secrets, ses illusions, ses millimètres taillés dans le temps qui deviennent des espaces impossibles à combler, des tombes où les lettres s’effacent aux grès du temps. Ecrire le passé, la condition sociale, l’enfance, la famille, les secrets, l’épicerie, sa place à trouver quand celle qui était devant n’existait plus, n’existe pas. S’affranchir des silences, s’affranchir de l’absence. S’affranchir de celle qui n’est plus là et qui continue d’exister, d’occuper la place, d’être. Etre la démon face à celle qui était la sainte. Qui est devenue une sainte.
« Je n’écris pas parce que tu es morte. Tu es morte pour que je t’écrive »
Traverser les sentiments, les émotions, les écrire dans le dénuement et la clarté ombrageuse de celle qui était l’autre fille. L’autre soi. Explorer le soi pour devenir, entrevoir la vérité sensible, disséquer le silence, identifier le combat, se faire, trouver, oser sa place, repousser l’ombre.
Etre ou ne pas être, la vie ou la mort.
Ricocher, ne pouvoir entièrement oublier, s’en défaire, revenir sur la tombe, les tombes et côtoyer les fantômes, écrire, s’écrire, écrire une lettre comme on ose un épitaphe, une dernière phrase, un destin.
« La réalité ne se conserve pas d’elle-même, qu’il faut consolider, repeindre et retapisser sans cesse. […] La réalité est une affaire de mots. »
Comments