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Anne Véronique Herter - Lettre A

LETTRE à il.


Paris, le 25 juin 2019


Mon si cher Il,



L’occasion s’offre à moi de t’écrire cette lettre, je la saisis mais je ne sais pas si j’oserai te l’envoyer… Je pense à toi souvent.

Quel temps as-tu ? Que fais-tu de tes journées ? Ton bord de mer est protégé, je crois, des chaleurs infernales de ce début d’été…


Aujourd'hui mes volets resteront fermés pour protéger la maison de la chaleur.

Les fenêtres sont ouvertes, une brise timide tente de rentrer. J’entends dehors des oiseaux chanter, mais la nature se tient immobile, son silence est suspect.

Elle attend, résignée, le poids du soleil sur ses feuillages, les insectes se terrent, tout comme moi.

Il y a un an, nous passions nos vacances avec toi, tous les trois, comme à chaque fois que nous le pouvions. Tu nous accueillais les bras ouverts, le cœur chantant, à profiter de la vie et du bon temps.

Le temps des copains, du rosé qui se sert bien glace, des heures chaudes à s’occuper des chevaux, à travailler la terre, à refaire le monde le soir dans le jardin.

Les fins de soirée à la fraîche et les matinées ralenties.


J’aimais voir mon mari si heureux lorsque vous étiez réunis. Lui, soucieux, discret, avec toi se libérait et tout vous rassemblait :

L’amour de la nature, l’appel de la mer, du vent, des bottes dans la boue, des pieds sur les rochers, une vie simple. Ensemble, le temps ne passait pas, il dansait.


Lorsque la maison dormait encore, nous refaisions le monde, toi et moi, nos vies, nos erreurs nos espoirs, nos envies. Ton regard était souvent plus féminin que le mien. C’était bien.


Tu sais, je me souviens de toi, aussi, lorsque tu pleurais, lorsque tes potes n’avaient pas le temps de t’écouter, n’avaient plus envie d’entendre tes amours brisées.

J’étais là, je te soutenais. Je pensais compter comme tu comptes dans ma vie. Je me suis tant inquiété à te voir déraper.


Tes mensonges, tes illusions, tes dénis, tes passions, tes maladies.

J’étais là pour tout.

Pour tout.

Je m’inquiétais comme une sœur, comme une mère, comme une amie.


Crois-tu que ce soit possible ? Crois-tu qu’on ait été amis ? J’ai dû le rêver. L’un de nous a menti.

Je t’aimais en vrai, d’un amour sans baiser, sans sexe, sans besoin et sans envie. Quelque chose de gratuit. Et puis tu es parti.


On part toujours pour un autre, un meilleur, on le croit, c’est pour ça qu’on y va. Je t’ai présenté le poison. Une femme-mensonge, coincée dans l’illusion, manipulatrice, une trahison.

Je ne savais pas qu’elle ferait ça : tromper son mari, te voler à ta vie, Paris, ta famille, tes amis…

Bien sûr, je sais que tu nous aimes.

Enfin… J’espère que tu nous aimes.

Nous aimes-tu encore ?


Elle a choisi de mettre ses mains sur ta vie, de choisir tes amis, ce que tu fais, qui tu vois, et pourquoi. Tu ne peux pas être heureux comme ça. Je te connais, tu ne peux pas. Tu aimes ta liberté, tes évasions, tes jardins secrets, comment fais-tu pour vivre enchaîné ? Elle est déjà noyée dans ses propres mensonges, coincée dans l’esprit étriqué de sa petite bourgeoisie, à se craqueler à chaque fois qu’une ride apparaît.

Elle n’a pas fini de craquer.

Mais toi, toi, tu peux encore te sauver. Sauve-toi !


J’avoue, au début, j’aimais bien te voir en cachette. Tu n’étais pas dupe de ses fourberies et de ses manipulations. Elle a exigé que tu renonces à nous.

Je riais de son aplomb : comment peut-elle demander une chose pareille ? L’amitié à la vie à la mort.

Tu riais avec moi.

Finalement, tu l’as fait.


Des mois qu’on ne se parle plus, qu’on ne s’écrit plus, et tu me manques.

Quelques rares amis qui te croisent encore, te disent transparent, souriant mais pas vraiment.

Mon amoureux dit que ton histoire ne durera pas.

Les mensonges ne durent pas, ton ancienne belle filera.

Quand tu n’auras plus rien, tu reviendras.

Lui sera là pour toi, parce qu’il est plus sage que moi.

Son amitié est probablement plus forte que la mienne puisqu’il te pardonne déjà.

Moi, je ne sais pas.

Est-ce de l’amitié que d’attendre que ce qui t’anime s’éteigne ? Je ne crois pas, mais je n'y peux rien, je ne suis pas fière de ça.


Tu es mon premier chagrin d’amitié et ça fait autant de mal qu’un cœur par l’amour brisé.

Aujourd’hui mes volets resteront fermés pour protéger la maison de la chaleur et ma mémoire des souvenirs passés…


Elle.



Anne-Véronique Herter



Chère Sabine,


Voici ma lettre


Je ne voulais pas écrire sur l’amour. A me relire, j’ai échoué, c’est une lettre d’amitié comme on aime d’amour pour un ami perdu.

Je m’en rends compte, tu sais. On me l’a souvent demandé, mais je ne sais pas écrire sur le bonheur, la joie, les rires, je ne sais écrire que sur les sentiments qui tordent la gorge.

Cette lettre est une pure fiction. Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé n’est que pur hasard.

A moins que nous ayons tous, quelque part, un(e) ami(e) perdu(e), serrant l’espoir fou de le(a) retrouver.



Chère Anne Véronique



On ne va pas mentir, ni se mentir mais toi et moi, on ne se connait pas vraiment. Et pourtant il y a une chose qui nous lie, une chose qui fait de nous des êtres à la sensibilité précieuse et précise, des petites choses qui nous font ressurgir le passé et laissent place au présent avant d’engager un futur. Les mots. Les mots et la beauté de la vie, son souffle, ses incertitudes, la promiscuité des doutes.

Toi et moi nous avons une histoire en commun, celle qui a révélé une force en nous, celle qui a réveillé des énergies que nous pensions insoupçonnées,  insoupçonnables, enfouies. Toi et moi nous sommes liées sans que je n’ai ouvert un tes romans ou livres. Tu le sais. Ce qui nous lie est au-delà de ce qui se lit. L’essentiel est ailleurs ; il est dans les phrases qui se construisent, dans les relations qui se chevauchent, se façonnent tout le long de sa vie, dans ses instants précieux qui font qu’on se reconnait.


Tu me dis que tu ne sais pas écrire sur le bonheur, la joie, les rires, que tu ne sais qu’écrire sur les sentiments qui tordent la gorge, nouent les tripes, perforent les cœurs. Qu’importe. Tu sais écrire, tu écris. Il faut du noir pour éclairer le blanc, il faut du sombre pour allumer la lumière. Il faut de la fiction pour semer l’espoir fou et passionnel de la vie, des amours, de l’amitié, de toutes ces ressemblances qui existent et qui ne sont pas fortuites, hasards ou banalités.


Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez vous.

A très vite quelque part.


A Miossec aussi.


Anne Véronique a écrit trois roman Zou, Prudence Rock, My dear Prudence et un essai sur le harcèlement moral au travail le cri du corps, ce récit qui nous lie.


Ces textes et photographies sont protégés par le droit d'auteur. Merci de ne pas les reproduire sans autorisation !



Lettre A

Anne Véronique Herter

Un été jaune carré

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