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Photo du rédacteurSabine

Anne Collongues - Le gant


« On voit souvent par terre des gants orphelins : un gant n’est pas un bijou dont on suppose la valeur, si ce n’est marchande alors sentimentale. Et justement j’aimais ça : que personne ne puisse se douter de mon émotion, jusqu’au frisson parfois, de la lascivité de ce geste simple, glisser mes mains dans la chaleur tendre des gants, pareille à celle de la peau sous les vêtements. L’indécence qu’il y avait certains jours à les enfiler, quand ils faisaient ressurgir la sensation de te tes mains sur moi et tout le reste ensuite, qui me fermait les yeux un instant. Personne ne pouvait l’imaginer. »

Une femme, au détour d’un boulevard parisien, s’aperçoit qu’elle a égaré un gant, celui de la main gauche. Un gant en cuir usagé, rapiécé entre deux doigts. Elle a beau fouillé son sac avec de gestes rapides puis plus méticuleux, renverser le cabas, faire l’inventaire des objets comme on fait l’inventaire de ce qui nous parait utile, elle a beau en retirer un porte-monnaie, un téléphone, un portefeuille, des tickets de caisse, mouchoirs, carnets, tube de rouge à lèvres, « elle ne sent pas son deuxième gant ». Rien. Pas la moindre pièce d’habillement recouvrant la main et les doigts, pas la moindre peau de cuir. Seule sous la pluie et sa bruine, son crachin nostalgique, mélancolique, elle retrace son parcours, revient sur les lieux qu’elle a parcouru durant ce laps de temps où les gestes deviennent mécaniques, machinaux, habituels, comme on revient sur l’existence de ce gant, cette seconde peau, les souvenirs liés.


« Le corps fait ce qu’il sait, un pas devant l’autre machinalement. Elle aimerait que la ville se déplie à l’infini sans intersection, sans arrêt, sans choix, seulement le goudron continu.»


Qu’il est bon de retrouver la plume d’Anne Collongues, découverte lors de la deuxième édition des 68 premières fois. Qu’il est bon de retrouver une telle écriture toute en douceur, poésie. Et il est beau ce roman. Un long travelling de la mémoire, une mise en place de chaque pièce d’un puzzle, de parcelles de vie, d’un bonheur fugace, une errance nécessaire, un cheminement intime.

Il est à la fois ce quelque chose d’émouvant qui surgit au coin d’une rue, d’un boulevard, un souvenir fugace et essentiel, lointain et pourtant si présent, quasi actuel, le télescopage des émotions, des sentiments et ressentiments. Il est d’une poésie de la pensée, des résolutions prises et celles regrettées, des endroits transités et des grandes foules où se niche l’ultra moderne solitude. Un pouvoir de subjection dans lequel on plonge avec langueur et délectation.


Il est prodigieux de voir combien l’écriture d’Anne Collongues a gagné aussi en maturité. «Le gant » est dans l’élégance du mot, de la phrase. On y sent l’étouffement des lieux étriqués où sévit la promiscuité, le mouvement saccadé et mélancolique d’une foule qui ne semble plus vivre et la beauté des souvenirs, la langueur du temps, le désir. La poésie se dégage, se ressent, nous emportant dans une tendresse infinie. Le silence du lieu intervient soudainement, comme un nouvel éclairage qui se joue entre l’histoire et l’affect.

A souligner les magnifiques encres, lavis, réalisées par Patrick Devreux (qui a travaillé notamment avec Nicole Malinconi) qui accompagnent de manière troublante et sensuelle l’histoire. Une très belle approche de deux arts.


« On est toujours fasciné par ce qui nous manque. »

Le gant

Anne Collongues

Editions Esperluètes

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