Nous n'étions que trois à la station. Il faisait déjà si chaud.
Quand le tram est arrivé, je suis montée seule. Les autres sont restés sur le quai. L'espace d'un instant, je les ai enviés. La possibilité de l'immobilité. Rester là, arrêter le déroulement mécanique des habitudes. Les portes de la rame se sont fermées, j'étais de nouveau en mouvement, en route, encore une fois. L'air étouffant à l’intérieur… il fallait descendre. À la station suivante, j'ai repris mon souffle sur le quai. Impression plaisante de faire l'école buissonnière... je me suis laissée porter par les rues sans vraiment faire attention à mon itinéraire.
Je repense au titre de ce livre dont on m'a parlé il y a quelque temps, Devant la beauté de la nature. Un titre comme une promesse, avec une grande puissance d'évocation. J'avais fermé les yeux pour écouter la voix de l'auteur. Grave, posée, claire, elle ne laissait que peu de place à la rêverie. Les concepts énoncés étaient complexes, il savait où il voulait amener son auditoire. Pourtant, j’avais vite cessé de l'écouter tout à fait. « Devant la beauté de la nature » ... S'accrocher aux images que ça évoque. Ça paraissait si facile. « – La forêt ? Le désert ? », propose l'auteur. Un petit jeu auquel l'assistance se prête volontiers. Je n'écoute plus, un instant je crois même saisir l'image - la mienne - devant mes yeux. Trop fugace pour en être sûre. Il est question de la beauté des villes, d'émotions ressenties, et de pas de côté. Les voyages en train, parfois, m'offrent cette possibilité. Lever le nez, et profiter d'un paysage, tout simplement. Neige, brume, crépuscule. Non. Pas encore. Pas assez puissant. Et la voix de l'auteur qui revient me chercher. « Quand avez-vous été émus par la nature pour la dernière fois ? » Devant la mer, évidemment. L'image est là, persistante. Un coucher de soleil, assurément. Parce que tout va très vite, et qu'on n'a pas de trace, seulement le souvenir furtif qui persiste au fond de l'œil, et la sensation d'une fin.
Mais est-ce vraiment de cela qu'il parle ? « Aller plus loin, dit-il, c'est comprendre pourquoi nous avons besoin de la beauté. » Je n'ai aucune envie de suivre son raisonnement, que j'imagine comme une énième façon de théoriser le monde, ce qui achève de me faire décrocher tout à fait. Partant de la mer et de ce coucher de soleil, je pense avoir ma réponse. Ça semblait si évident.
Pourtant, ce matin, je ne suis plus sûre de rien.
À mesure que j'avance dans les rues, mon regard se modifie. Je perçois quelque chose que je n'avais pas saisi ce jour-là.
« Quand avez-vous été émus par la beauté pour la dernière fois ? »
C'est là, à l'angle d'une rue traversée par le soleil déjà brûlant, alors que je croise le regard d'une femme dans l'encadrement d'une fenêtre, que la sensation se fait plus présente. La fumée qui s'échappe de sa tasse, son regard encore ensommeillé et pourtant parfaitement souriant… d'un coup, ce sont les mots d'un autre écrivain qui me reviennent.
« Dire quand c'est bien, quand c'est beau, quand c'est touchant. Exprimer tes sentiments. » Ça n'a l'air de rien, mais c'est si difficile. Je peux dire que la mer et son inexplicable beauté me coupent le souffle. Je peux dire qu’un coucher de soleil me rend triste par moment, même si c’est éphémère. Je peux trouver les mots pour décrire la sérénité ressentie dans la forêt ou au bord d'une rivière.
Mais il n'y a pas que ça, bien sûr. Je peux être émue par tout ce que mon regard décide de voir, de construire. Un sourire, des mots échangés ou écrits, un éclat de rire. Un regard bienveillant au détour d'une rue. La sensation d'une matinée tranquille qui commence. La silhouette à la fenêtre a disparu. Je quitte la rue noyée de soleil, son reflet éblouissant imprimé sur la rétine. Il faudra écrire sur cette rue, sur cette femme, lui inventer une histoire, trouver les mots.
NB : Les livres cités existent. L’un d'eux m'a apporté une accroche pour ce texte, l'autre m'a fait faire un pas de côté. - Alexandre Lacroix, Devant la beauté de la nature, Allary éditions (à paraître le 20 septembre) - Erwan Larher, Le Livre que je ne voulais pas écrire, Quidam éditeur et J’ai lu (parution poche le 03 octobre)
Amélie Muller L'été jaune carré
Il est toujours difficile de parler de ces personnes que l’on croise un jour sur un réseau social et qui ont le cœur qui parle, le regard qui illumine. Des personnes qui d’un coup de sourire ont l’art d’inscrire des mots et des phrases dans les pensées. Des personnes sans qui les 68 premières fois ne seraient pas non plus ce qu’ils sont. Ces personnes qui sont des précieux vecteurs et acteurs de la chaine du partage des livres, de la littérature sont aussi précieuses que l’amitié, ces instants nécessaires. Et c’est tout cela que représente Amélie Muller.
Mais le mieux est de laisser ses amies parler d‘elle.
- A quoi tient une rencontre ? Il y a un mystère, une aura à se retrouver sur le même chemin et à faire quelques pas ou une longue marche ensemble. Amélie habite à quelques pas de chez moi, partage la même passion et il a fallu que ce soient nos filles qui nous réunissent. Enfin, plus précisément Boris. Voyant Adèle regarder ce livre à la crèche, j ai demandé sa provenance. « C est la maman de Gabrielle, elle travaille à Paris dans le milieu de l édition je crois. » Entre le spectacle et l'arrivée du père noël, j ai osé m approcher en lui faisant part de cette anecdote… Nous aurions pu ne jamais nous croiser sans Boris. Que cela aurait été dommage, car depuis les moments ensemble sont nombreux, des repas partagés, des lectures communes, l aventure des 68, voir nos filles grandir ensemble. Quand je vous dis que la littérature permet de magnifiques rencontres… Merci Boris !
(Charlotte)
- Dans mes oreilles circulent le son de ta voix, de celle qui me berce de mots doux et passionnés. Toi, madame la libraire, tu parviens à nous embarquer dans les profondeurs de la littérature, tu nous déniches ce petit quelque chose qui fait chavirer les cœurs. Toi, madame Page, tu uses de tes pouvoirs afin de mettre en valeur la jeunesse, et c’est merveilleux. Toi, ma grande amie, ta gentillesse et ta générosité ne peuvent que me faire aimer les grands récits. Amélie, continues de nous faire rêver, c’est tellement bon
(Héliéna)
( Pour le respect de celles et ceux qui ont accepté de publier sur ce blog, les textes et les photographies sont protégés par le droit d’auteur. Merci de ne pas les reproduire sans autorisation)
Commentaires