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Photo du rédacteurSabine

Amandine Cirez -Lettre à

Cher Monsieur J,

Je vous écris d'un Sud que vous connaissez bien. Là, à quelques kilomètres à peine de votre lieu de vie. J'ai la sensation que si je tends un peu plus le bras je pourrais toucher du doigt cette porte derrière laquelle vous résidez. Peut-être même verrai-je apparaître votre regard qui porte un monde. Ce monde qui me touche tant lorsque je vous lis. Mais je ne tends pas le bras ni même que je prendrais mon courage pour vous envoyer un jour une lettre. Celle-ci ou une autre, qu'importe. La pudeur vous savez...

Un monde donc. Celui que j'ai découvert par le plus grand des hasards. Sur les bancs de l'école. Sur une liste de noms inconnus. Une numérotation de pages à faire pâlir les allergiques de la littérature, il paraît que c'est possible, sûrement n'ont-ils pas trouvé ce livre, cette rencontre qui déclenche tout. Je l'ai trouvé ce jour-là, parmi ces noms. Le vôtre est ressorti. Un hasard tout calculé. Je vous ai choisi car vous aviez écrit le livre qui possédait le moins de pages sur cette liste vertigineuse.

Il y avait cette silhouette un peu floue sur la couverture, ces couleurs automnales. Ce titre. Lambeaux. A bien y réfléchir est-ce vraiment le nombre de pages ou le titre qui m'a attirée. Y a-t-il vraiment des hasards dans la vie ? Lambeaux... Cela me correspondait plutôt bien. J'ignorais encore alors ce que vous y mettiez derrière mais je me sentais moi-même en lambeaux. L'adolescence tourmentée. Le père entre ces murs qui sentent la javel, soins intensifs. Mais je ne vais pas vous raconter cette vie-là.

Dans ces lambeaux-là, votre livre a été comme un premier toucher, une première caresse, dont on ignore jusqu'alors l'existence. Dont on ignore même que cela puisse exister. Cette part manquante que l'on découvre. Nécessaire. Lambeaux, les premières pages cornées. Depuis je n'ai jamais cessé de le faire. Une habitude pour me rappeler ce qui marque, pénètre la chair et le cœur.

Lambeaux, ma première émotion en littérature. Avec vous. Mon premier "alors ça peut-être ça la littérature ?". Ça peut être ce bousculement, ce vacillement, ce tourment qui nourrit et parvient à faire avancer. Ça peut être ce tremblement de l'âme qui bouleverse tout un être. Et que l'on n'oublie jamais.

Ce jour-là j'ai compris le pouvoir de la littérature, des mots. Vous avez été l'année de mon éveil. Et depuis, je n'ai cessé de lire. De vous lire aussi, sans jamais trouver un égal. De vous écouter aussi. Car bien plus que vous lire, il faut écouter vos mots, votre poésie. Dans le silence le plus complet. Se retirer dans vos mots. Leur pudeur, leur sincérité, leur simplicité qui met à jour la complexité de l'existence. Se retirer dans vos mots combats. Qui se font violence. Vos mots à l'os, sans fioritures, des mots dans leur plus simple appareil si j'ose dire. Vos mots moissons. Qui deviennent les nôtres. Quand on ne sait pas dire ni écrire.

Vous l'ignorez Monsieur, mais cela fait bien longtemps que je vous suis. N'ayez crainte, je ne suis pas dangereuse.

Depuis des années, j'explore votre œuvre comme on explore une vie. Comme on avance sur ce chemin incertain. Je suis admirative. De votre regard, de votre manière d'être au monde. De votre pudeur, votre sensibilité. De cette grâce qui se dégage de vos mots. De votre courage. D'aller tout au fond, vers le plus sombre pour faire jaillir la lumière.


Il fallait bien un jour vous le dire à voix basse... dans mon pays du silence, seuls vos mots parviennent à m'éclairer et m'apaiser quand ma lumière vacille.


Avec toute ma gratitude,

A.


Lettre à

Amandine Cirez

L'été jaune carré




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