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Alex W. INKER - un travail comme un autre



« Oui ça n’était plus qu’un travail comme un autre. Pareil que de traire les vaches, de nettoyer les stalles, de faire courir les chiens, d’ordonner des cartes, de ranger des livres, de piocher dans une veine de charbon et respirer la poussière de minerai. »

Lui, c’est Roscoe T. Martin, le raté de la famille, le moins que rien, le bouseux aux doigts chargés de feu et d’électricité. Il a tout raté de sa vie, de celle que ses parents auraient aimé qu’il soit, un mineur, un gars qui sait ce que veut dire aller au fond du trou et non pas ce minable fermier qui a épousé une fille de paysan de l’Alabama des années 1920/1930. Et en ce temps là, c’est la Grande Dépression, les raisins de la colère, la fuite, la quête du moindre grain de maïs qui apporterait richesse et espoir.

Mais Roscoe n’y connait rien à la terre. Il n’est pas et ne veut pas être fermier. Travailler dans cette ferme qui ne ressemble à rien, très peu pour lui. Et encore moins avec cette possible fée électricité qui dépose le progrès. Ça c’est ce que pense Mary, l’épouse qui n’en peut plus de ce fainéant, la mère de leur fils. Pourtant, ce qui le touche, ce sont les livres et ce courant qui passe dans les fils, dépose un contact et permet de croire en un avenir plus serein.

Alors quand le projet de développer la ferme grâce à quelques poteaux, des fils et des transformateurs jaillissent dans son crâne, l’avenir lui appartient. Mais on ne chahute pas le destin, on ne modifie pas le courant d’une vie. On ne devient pas escroc par la grâce d’un coup de tonnerre. On demeure celui qu'on est : un moins que rien, un minable, un bon à rien.

Un travail comme un autre est une bande dessinée (issus du roman de Virginia REEVES), un conte noir, une désillusion de l’homme sur la vie, le monde ingrat, l’espoir des vies cabossées, brisées, désenchantées, cognées. C’est le règne du non-droit, des bagnes et autres pénitenciers où pour survire il faut accepter les coups et les menaces, la solitude et les compromis, la privation, la cruauté. On rentre à même la chair des hommes, leurs esprits torturés et tortueux, la pauvreté extrême et la noirceur des âmes. Respirer est le seul droit que l’on nous donne pour tenter de vivre encore un peu. Respirer et frôler la mort. Terrible et coupable. Coupable à tout jamais.

Un roman graphique qui vous prend là, en plein plexus, vous engloutit, vous ramène à la base besogne de l’homme : survivre pour ne pas mourir. Survivre pour essayer encore de croire aux possibles, à l’amour, la liberté. Mais l’homme reste l’homme. Un loup. Un animal aux bas instincts. L’univers y est sordide, culpabilisant, ténébreux et n’offre guère de répit.


Et pourtant, une grande douceur se dessine, une espérance malgré ces lignes d’une « noirceur » littéraire. Une tendresse se devine et fait de la culpabilité, la véritable recherche d’un homme emplit de croyance et d’une rédemption possible. Le graphisme nous prend à la gorge. Un monochrome de tons orangés et de traits gras, épais, la technique et le style inimitable des comics cartonnés. Comme une toute puissance d’un univers contrasté. Une Amérique raciale, un état dans l’état.


C’est beau, touchant, cognant. On n’en ressort les tripes en vrac, le cœur à côté de la plaque, le courant complètement délité, comme une ampoule que l’on aurait éteint subitement, plongé dans le noir, les ténèbres de l'âme humaine. Et pourtant c’est beau. D’une force et énergie, d’une croyance et d’une fidélité en l’homme malgré la charge accusatrice. Une douleur qui ne nous quitte pas et nous donne à imaginer un espoir.


En un mot… : du grand. Du terriblement grand. Le genre de grand qui vous laisse KO, groggy, vous donne cette furieuse envie de ne rien laisser passer, de continuer de croire en la vie, de se battre pour résister et être libre.



Un travail comme un autre

Alex W INKER

Editions Sarbacane


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