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Photo du rédacteurSabine

Agota Kritof -L'analphabète


« Je sais que je n’écrirai jamais le français comme l’écrivent les écrivains français de naissance mais je l’écrirai comme je le peux, du mieux que je le peux. Cette langue je ne l’ai pas choisie. Elle m’a été imposée par le sort, par le hasard, par les circonstances. Écrire en français, j’y suis obligée. C’est un défi. Le défi d’un analphabète. »

L’histoire d’Agota Kristof, une partie de sa vie, celle qui l’a menée en Suisse, aux confins du Léman en 1956, elle la hongroise de naissance, pays neuf chargé d’une histoire des Balkans décapité, perdu, où tout est à bâtir pour des laissés pour compte, des pis-aller. Un pays où la guerre, la seconde, vient tout juste de sonner au carillon du village.


Agota a quatre ans, un père calme, silencieux, aimant, instituteur de la seule école du village, visage couvert de craie blanche et une mère intransigeante, recluse dans sa cuisine, ne laissant rien paraitre, rempart à la tendresse. Une mère analphabète et qui donne comme remontrance ultime, la punition d'user les fonds de robes dans la classe paternelle. Quatre ans et le virus de la lecture qui entre en elle.

Mais la guerre éclate. La Hongrie se trouve prise dans un engrenage, transbahutée dans une histoire qui ne lui appartient plus. La pauvreté sévit et le seul moyen donné, est de placer les enfants dans des internats dirigés par l’état., entre orphelinats et maisons de correction. Logées et nourries par l’Etat, les jeunes filles s’épanouissent dans des salles suintant l’ennui, l’obligation, la liberté perdue, la pauvreté miséreuse. Pour ne pas sombrer, Agota commence à écrire dans des cahiers, des journaux qu’elle cache à la vue des professeurs. Elle y note ses malheurs, ses secrets, ses envies de liberté. Elle y note son enfance, ses peurs, ses pleurs, ses lectures, celles qui l’illuminent, qui lui donnent des frissons, qui lui tirent des phrases, des mots, des poèmes. Ses écrits.

Le début de ce qui sera elle. Agota Kristof, la poétesse, la romancière.

« Encore maintenant, le matin, quand la maison se vide et que tous mes voisins partent au travail, j’ai un peu la mauvaise conscience de m’installer à la table de cuisine pour lire les journaux pendant des heures, au lieu de … de faire le ménage, ou de laver la vaisselle d’hier soir, d’aller faire les courses, de laver et de repasser le linge, de faire de la confiture ou des gâteaux. »

J’aurais pu vous narrer toute l’histoire de cette vie. Mais sa force ne réside pas dans celle-ci. J’ai été subjuguée par les mots, la beauté des mots, la vérité d’un exil, de frontières passées, des peurs. J’ai été éblouie par les mots lus à la force d’un dictionnaire, par la volonté farouche de vouloir devenir une écrivaine, de la notion de liberté qui respire à chaque page. Onze courts chapitres alignés comme onze tranches de vie, comme onze voyages que l’on fait pour apprendre à vivre, survire.


J’ai lu la nécessité de survivre, d’apprendre à faire et défaire ses valises, à croiser ceux qui nous aident et ceux qui nous haïssent. J’ai affronté des langues inconnues, incompréhensibles. J’ai côtoyé une Europe riche d’un peuple, d’un mélange ethnique. J'ai lu la mélancolie d'un pays perdu. J'ai lu la "survivance", la solitude, la souffrance d'un isolement imposé, la volonté farouche de devenir une femme, de ne plus craindre les dictatures, de d'être libre, de continuer au fil des pas, d’écrire les mots pour devenir poète, écrivaine et finir par se faire éditer. J’ai lu les langues, les mots justes, vrais, cocasses, bardés d’humour, d'amour, de tendresse, de vérité, de libertés, d’un souffle nouveau. Des phrases sans colères, ni regrets. Vibrantes, vivantes.


J'ai lu l'analphabète. Comme quelque chose de fort; magistral, vivant, vibrant, libre, vrai. Comme quelque chose que l'on porte en soi et qui nous grandit, comme un poème.


« Je lis encore, si j’ai de quoi lire, à la lumière du réverbère, puis pendant que je m’endors en larmes, des phrases naissent dans la nuit. Elles tournent autour de moi, chuchotent, prennent un rythme, des rimes, elles chantent, elles deviennent poèmes : Hier tout était beau La musique dans les arbres Le vent dans mes cheveux Et dans tes mains tendues Le soleil. »


L’analphabète Agota Kristof Zoé.


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