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  • Photo du rédacteurSabine

Agnès Hostache - Nagasaki


« On dit des saumons qu’ils quittent la mer et remontent pour frayer dans la rivière où ils ont grandi. Le vivant est gouverné par de tels protocoles. Après avoir achevé un vaste cycle de son existence elle regagnait l’un de ses plus anciens biotopes. Celui où, en l’espace de huit années, elle avait fait « ses grandes découvertes » Des émerveillements, des promesses inouïes. »

Shimura-san vit seul, entouré de ses 4 murs de papiers, à la lisière de Nagasaki et proche d’un chantier maritime où seuls les milans annoncent de leurs cris stridents, la vie qui passe. Inexorablement. Sans avenir, sans rien. Comme un oubli, une verrue, un fantôme. Entre ombre et gris. Une organisation au diapason de sa petite existence, de ses petites habitudes que lui seul voit, observe, fait de sa vie, son quotidien, ses gardes fous : les chaussures quittées à l’entrée du pavillon, la soupe miso, le bol de riz, le futon replié dans la pièce qui sert de chambre, le frigo rempli juste pour une seul personne, le thé qui chauffe, un livre peut être mais rien d’extraordinaire. Sans bruit. Sans violence. Sans heurt. Sans rien. Ni projet, ni avenir. Une maison traditionnelle dans un quartier sans importance, faubourg endormi, loin de la folie moderne, du bruit et de la jeunesse. Minimaliste d’une vie qui passe en quelques instants d’une histoire de pas grand-chose.


Et soudain le dérèglement. La découverte sensible, inquiétante, le grain de poussière dans le rouage organisé. Quelque chose du silence qui bouge, qui frôle l’énigme, réorganise la vie, bouscule la règle, sourde l’inquiétude, ébranle les habitudes.


« Un jour, il ne se passe plus rien. La corde du destin d’avoir été trop tendue a cassé net. Rien plus n’arrive. L’onde de choc de ta naissance est si loin désormais. Oh ! si loin. C’est la vie moderne. Entre échec et réussite s’étend ton existence. Entre gel et montée de sève. »


Un roman graphique d’une splendeur absolue où la solitude frise la détresse de la vie moderne, des pertes de repères, de la folie qui gagne, des regrets, remords d’une vie passée à essayer d’être ce que la société aimerait que l’on soit. Une bande dessinée qui explore les existences fantomatiques d’un monde qui se tourne vers le bruit en oubliant au passage ceux qui ne vivent pas, plus au même rythme, recherchent des repères, leurs repères comme autant de signe de vie, d’une existence fantomatique. Une bande dessinée issues des mots d’Eric Faye, Nagasaki.


Par ses peintures, son graphisme empreint d’une douceur mélancolique, d’un japonisme où tout est réglé, préservé, Agnès HOSTACHE a réussi le pari de réécrire en pudeur le roman. La poésie se dégage des lignes, les couleurs se posent et donnent vie aux êtres, à ces fantômes, à ce mystère. Les cadrages fixent la dimension au peu d’existence, au repli et l’invisibilité, à ces petits riens qui disparaissent sans laisser d’indice. On entre dans l’intérieur de la vie de Shimura-san, dans sa tête, son logement. On inspecte ses recoins, ses questions, devenons l’intrus, une webcam branchée sur lui, lui qui cherche le pourquoi du comment, ce mystère qui dérègle ses habitudes, sa vie, son gris.


Fort. Très fort. Sensible. Poétique et émouvant.


« La femme d'aujourd’hui fait qu’il ne faut pas laisser les souvenirs rebondir dans le palais des histories. Ils deviendraient fous comme une mouette qu’on enferme par mégarde dans une salle »

Les bulles de la semaine sont à retrouver chez Moka



Nagasaki

Agnès Hostache

Le Lézard Noir.




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