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Photo du rédacteurSabine

Abigail Seran - Fenêtre sur mer

Longer la mer. Sillonner sur l’étroit chemin. Les vagues harcelant la falaise en contrebas. Hormis quelques mouettes, pas un être vivant à l’horizon. Peu surprenant vu l’heure très matinale. De toute façon, rares ont toujours étés les promeneurs s’aventurant dans le coin. Le sentier grignoté par la lande en témoigne. Je marche lentement, respire les odeurs vertes. Depuis combien de temps ne suis-je pas revenue ? Ce doit être la deuxième fois que je m’y rends seule. C’était notre rituel de début de vacances. Au premier matin où nous avions posé le campement dans la maison de famille, quand nos organismes n’avaient pas encore intégré le décalage de l’heure du réveil, que dans le lit inconfortable qui abriterait nos grasses matinées, nous nous retournions, cherchant à prolonger la nuit, il me prenait par la main et me disait « Viens ». Et je savais que pieds nus dans les baskets, nos chevilles frôleraient les herbes humides bordant la voie côtière. Nous marcherions jusqu’au phare. Nous savourerions l’air iodé. Au pied de l’imposant bâtiment bicolore délavé, il jouerait avec mon alliance, il m’embrasserait comme ce jour où nous avions pu y entrer.


Je ralentis encore un peu. Je sais qu’au prochain virage, l’immense édifice s’étirera face au large. Le phare fier. Nommé ainsi par mes soins, tant sa noblesse à défendre sa langue de terre contre l’océan m’avait frappée la première fois. Le phare fier était devenu son patronyme dans ma famille d’adoption. Il surgit soudain. Conforme à celui de ma mémoire. Juste rajeuni de peintures blanche et rouge éclatantes. Je hâte le pas, urgence à aller le saluer. Je ne le quitte pas des yeux en zigzagant sur le passage des douaniers. Je le retrouve enfin, touche sa pierre froide de la nuit, l’admire. Plus de dix ans que nous nous sommes quittés. Tenter d’ouvrir la porte. Comme ce jour où nous sommes montés à l’étage. J’entends encore le bruit de la lourde clé tournée dans la serrure. Je n’ai jamais su comment il avait fait pour se la procurer. L’odeur de moisi humide, l’escalier torturé pour accéder au premier. Et la fenêtre. Celle que l’on ne peut pas voir de la terre, qui regarde vers les marins. J’étais époustouflée. Il a mis un genou à terre. J’ai peiné à prononcer le oui qu’il attendait. Trop émue.


Le jour où mon mari a repris son serment, je suis venue lui dire aurevoir. Il avait tenté de me consoler, mon phare fier. N’avait pu que bien peu. J’avais pris congé de nos rencontres annuelles, de ces retrouvailles estivales, du souvenir de notre parole donnée. Je crois qu’en ce matin bleu, il est heureux de me revoir. Je le caresse avec tendresse. Glisse mes doigts sur la rugosité de son enveloppe. J’en fais le tour, ma main coulissant le long de son échine. Face à la mer, la plateforme est exiguë, il a été construit sur l’extrême bord de la roche. Collée contre sa façade, je lève les yeux pour retrouver la fenêtre des promesses. Celles-là mêmes que mon fils et sa fiancée prononceront dans quelques heures.


(Pour le respect de celles et ceux qui ont accepté de publier sur ce blog, les textes et les photographies sont protégés par le droit d’auteur. Merci de ne pas les reproduire sans autorisation)



Fenêtre sur mer

Abigail Seran

Un été jaune carré


Abigail Seran est une auteure suisse et plus précisément du canton du Valais. Polyglotte, âme voyageuse, par les montagnes et les vallées, les ailes d’un avion entre l’Irlande et la France, Abigail Seran a écrit des romans et notamment cette année, une série de nouvelles « Un autre jour demain » parue chez Luce Wilquin  qui nous donne cette envie, nous emmène vers des portraits de femmes ou d'hommes qui construisent leur vie au pas de leur existence, de leurs contraintes, joies, questionnements. Une grande délicatesse surprenante, douce, interrogative constituée de renoncements, d’attirances, de voyages, de rencontres. Des jours avec ou sans lendemain. 

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