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A.L. Reboul, R. Penet - La Marche

Dernière mise à jour : 24 oct. 2019


« Une mauvaise ouverture aux échecs vous mène à votre perte. Ils attaquent et les défenses vous font juste gagner un peu de temps. Nous étions dans cette situation. Trop de pions mal placées et de pièces maitresses mal utilisées. Mais je n’en avais pas encore conscience. »

Les défaites napoléoniennes, des longues traversées d’une Russie glaciale, à lutter contre le froid, les gelures, la famine qui font crever les idéaux, la folie qui nait dans les esprits, les révoltes, les idéaux qui partent en fumée. Waterloo morne plaine, Trafalgar la déroute, la campagne prussienne morne et infernale, endeuillée par les départs précipités, la déroute, l’exode d’une armée en décomposition, d’une marge de la population aristocratique et embourgeoisée installée à Moscou qui fuit devant les soldats russes.


Des bouleaux à perte de vue, des champs enneigés sans le moindre abri possible, où vivre serait encore une trêve avant l’œuvre de la faucheuse, la faucheuse gelée, la faucheuse enragée, la faucheuse folle. Marcher toujours, encore. Quelque soit les classes sociales qui ont rejoint les troupes désœuvrées, la solitude dans la grande forêt. Marcher aux coté des déserteurs aux couteaux et sabres ensanglantés. Marcher aux cotés de ceux qui ont tout laissé pour tenter de rejoindre l’Ouest, revenir vers une France oubliée. Marcher pour survivre, sauver sa vie. Marcher à en crever de froid, à en crever tout court.


La marche, la déroute. Traverser les grandes plaines enneigées, glaciales d’une Russie encore Prussienne. La Marche comme un exode, l’exode d’une armée meurtrie, d’une aristocratie française installée à Moscou pour commercer, s’enrichir. La marche vers la folie, vers le froid et la mort, la cohabitation impossible entre serviteurs et noblesse, entre soldats et déserteurs, les tabous révélés, les loups qui n’attendent qu’une seule chose : la faucheuse. La faucheuse, la faucheuse.

Le huit clos, la douleur dans le blanc glacial, la mort et le sang sans en connaitre la couleur. Le goût de l’impossible, de la déchéance, l’errance, la défaite, le sacrifice. Et la forêt. A perte de vue. Noir et blanc. Comme un deuil. Un deuil dessiné, graphié, sans pitié, dramatique, fou, sondant les âmes humaines, décortiquant les tréfonds, les viscères, les désillusions, la capacité de résistance, d’humiliation, de défaite ou de bravoure.

Un exode enfermé, sans oxygène, stupeur et tremblement qui envahit les pages, les planches, coupe le souffle à coup de hachures zébrés, de bouleaux à l’écorce dur et sans saveur, nous retourne l’esprit, nous frappe psychologiquement, moralement. On repense à Chabouté et son graphique unique, à Murat et Animabilis. On entre dans ces pages où le découpage des cases se découpe à coup de sabre, d’une dureté irréelle mais d’une beauté grandiose, immense, étouffante, où la dualité de l’âme joue avec la profondeur des errances, la folie instinctive, meurtrière.


Et c’est beau. Beau comme le diable qui frappe à notre porte. Beau comme une tempête de neige. Glaciale comme les étendues impossibles à relier, à vivre. Beau et terrible, terrible comme la neige lorsque rien ne survit. Terrible comme l’immensité quand l’échappatoire est impossible. Beau comme une partie d’échec quand la Reine tombe et ouvre la voie à la mort du Roi.


« C’est ici et maintenant que se joue notre vie. »

Les bulles de la semaine sont à retrouver chez Stéphanie.



La marche

Anne Laure Reboul

Régis Penet

Vents d’Ouest




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