top of page
  • Photo du rédacteurSabine

Laurence Vilaine - la Géante



« Je ne sais rien de l'absence, ni de la peur de l'absence, mais je sais derrière la vitre l'amour qui prend toute la place, qui fait oser les mots qu'on ne pensait jamais dire et offrir le plus nu de soi-même, qui fait acheter des fleurs et des robes légères pour s'accrocher à l'espoir de jours meilleures. J'ai compris combien est malheureux celui qui se cache derrière une majuscule suivie d'un point. »

Quelque part au pied nulle part, aux pieds de la Géante, là où les mots ne franchisent pas le seuil des lèvres, là où l’amour n’a pas semé de troubles et de désirs, les peaux et les langues, où attendre est inconnu. Quelque part dans une vallée où seules les pierres et les sentiers sont les chemins d’accès, où les dos se voûtent face au vent et froid d’hiver, au soleil qui perce au dessus de son sommet impressionnant, inatteignable. Minéral et luxuriant. Sauvage et humain.

Quelque part au fond de la vallée, là où se réfugie les corps lorsqu'il n’est plus possible de vivre, là où l’immuable rythme du souffle s’évertue à faire vivre les fagots fournissant le feu de l’hiver, les bleuets, la bourrache et autres plantes, baies, onguents, baumes et tisanes, remèdes de sorcières-guérisseuses, allègent les peines et autres douleurs.

Quelque part, là où il est possible de se cacher, recueillir dans les bras sauvages de celle que l’on nomme Nature, de s’éloigner d’un monde où le ciel s’obscurcit, constelle la rétine d’étoiles cachant les ténèbres, aveuglent. Quelque part où il est facile de se replier, de s’endurcir tels ces maisons-bergeries et rues pierreuses géologiques parsemant la vallée. Quelque part où les mots, les lettres n’arrivent que par voie postale, où seul le Petit-Duc et le messager d’un printemps, où la poésie devient fil, désir, manque, pouvoir, force, sentiment, vie.


« J’ai découvert l’attente. »

Quelque part où vit Noële avec un seul L. Le L de la faute, d’une naissance sans père, d’une mère trop tôt disparue, d’une tante herboriste et aux mots phrases silencieuses ou purement utiles. Quelque part où un frère un brin simplet, un brin poète, au doux nom de Rimbaud, parle aux oiseaux. Quelque part où Maxim, homme d’ailleurs, se refuse de vivre, d’aimer. Quelque part où les lettres d’amour arrivent comme arrive le désir lorsque le printemps apparaît et les yeux se ferment pour mieux les lire, les écouter, étreindre, s’éteindre lorsque le froid recouvre les corps, rend las armes.

« Je ne sais pas ce que fait faire l’amour, ce qu’il sème dans le cœur des hommes, de craintes, de renoncements, de lâchetés ou de comètes, combien il met les têtes à l’envers, dedans des petites poussières, des chemins en miettes ou de grands soleils, comment depuis des millénaire il fait tourner les peaux de bêtes et les robes, brode et repasse, effiloche ou ravive les dentelles. Et c’est beaucoup, beaucoup pour un seul mot. »

Il n’y a pas grand chose à dire sur le roman de Laurence Vilaine. Pas grand-chose tellement la beauté est là, s’infiltre et nous pousse à tourner les pages, à se laisser aller à la découverte de lettres, d’une correspondance, du désir, à la lente et merveilleuse effraction qui s’opère là où tout semble se fermer. L’écriture devient rempart, protection, sauvagerie et vie, minérale, source. Les ombres s’ouvrent, grandissent pour atteindre le sommet de la Géante, se découvrir grâce à l’amour et au pouvoir des mots, la force, la tendresse, la résolution, la pureté des sentiments.

Une écriture tout en silence, en nuances, en poésie où les mots, l’histoire se révèlent au fur et à mesure, se développent pour devenir lumière, beauté, touche, clarté, une étroite fenêtre, un tableau de G. de La Tour, une image fragmentée. On y ressent la force terrible des éléments, la fougue de l’amour, la liberté envoûtante et élévatrice du désir et des vies rêvées, inattendues, cruelles et mensongères, vraies et sauvages, indomptables, libératrices.

« Les mots justes se retiennent sans effort parce qu’eux-mêmes ont retenu l’essentiel »

C’est beau, grandiose, magnifique de silence et de lumière, de vie et de force, de sentiments et d’une douceur rugueuse tels ces onguents, ces baumes qu’on applique sur les corps malmenés pour les soigner, les ouvrir tels les mots, la poésie soignent les cœurs endurcis et les font renaître à la vie.

« On s’habitue à tout et on rend possible l’impensable. »

La géante

Laurence Vilaine

Zulma

65 vues1 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page